La 3D tombe à plat

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 8 octobre 2011 à 8h26

«Depuis des temps immémoriaux, le nombre 3 a inspiré l'imagination des artistes.» Houla, il commence bizarre, cet article sur la 3D du Mipcom News , le journal interne du Marché international des programmes (MIP), à Cannes… Et le papier de citer les Trois Mousquetaires , les trois sorcières de Macbeth et les Trois Petits Cochons pour dire que, ça y est les gars, la 3D prend son envol. Heu, sauf que, dans les faits, la 3D oscille plutôt entre trois pieds sous terre et la semaine des trois jeudis.

Prenons le MIP, tiens, puisqu'on y est : il y a deux ans, le Palais des festivals ne bruissait que de la 3D. C'était bien simple : on allait tous y passer et ne plus regarder son écran que parés de lunettes ad hoc. Le film Avatar , de James Cameron, allait sortir fin 2009, la Coupe du monde de football 2010 pointait ses crampons : autant d'événements qui, c'était certain, allaient scotcher le téléspectateur aux images en relief. Et pfuuuuit, deux ans plus tard, c'est la débandade. Ou plutôt la 3Dbandade. Le MIP a eu beau, cette année, consacrer une matinée entière à la 3D, on sent bien que le cœur n'y est plus : les participants sont passés du mode «Comment on va être bien dans nos petits hélicoptères en 3D» à «Mais comment faire décoller ce foutu bouzin de 3D».

D’abord, il y a les chiffres, ceux de l’année dernière : les fabricants avaient prévu d’écouler 7 à 20 millions de téléviseurs 3D à travers le monde. Résultat : 3,3 millions de ventes, soit, au mieux, moitié moins que prévu, au pire, six à sept fois moins, ouch. Dire si on est loin du marché de masse espéré.

De fait, il y a peu de programmes en 3D : du sport (Roland-Garros ou encore Wimbledon ont été diffusés en 3D, en attendant les Jeux olympiques de Londres en 2012) et des documentaires, principalement animaliers. Ou alors du cul. Le producteur de X Marc Dorcel, souvent précurseur en matière de nouvelles technologies (il a lancé sa propre plateforme de vidéos en ligne en 2001, cinq ans avant YouTube), compte ainsi 10000 abonnés en France à son offre de vidéos 3D en ligne. «Nous sommes un petit producteur , explique Grégory Dorcel, fils de Marc et DG de la boîte, mais avec une centaine de programmes seulement, nous détenons l'un des plus gros catalogues au monde !» Problème : la production de ces programmes coûte cher, beaucoup plus que la 2D. Il reste les films, d'Avatar à Transformers 3, généralement considérés comme un moteur pour la 3D.

Au MIP, Akira Shimazu, chef de la 3D chez Sony, au Japon, a insisté : «Les gens ont eu de bonnes expériences avec la 3D au cinéma, donc ils veulent les reproduire chez eux.» Seulement, les films en relief ne sont pas si nombreux, et pas toujours d'une qualité tip top. Pour Grégory Dorcel, «les films en 3D ont été très déceptifs, on ne peut pas se contenter de coller un logo 3D. C'est une écriture et une mise en scène différentes : pour le X par exemple, l'action ne se passe plus de profil mais de face par rapport au téléspectateur. Ce qui compte, ce n'est pas tant la profondeur de champ que le jaillissement à l'écran.» Heu, non rien.

Surtout, les droits 3D ne sont pas toujours cédés à la télé. Ainsi, raconte René Saal, directeur de l'antenne des chaînes Canal +, la télé cryptée, qui a pourtant ouvert un canal dédié, n'a pas pu passer Avatar, le film symbole du genre, en 3D ! «Les ayants droit ont refusé, ils ont préféré se concentrer sur les entrées en salles et les ventes de DVD.»

Et puis, il y a la douloureuse question des lunettes. Autant pour une séance de cinoche, ça passe, autant chez soi devant son poste, ça coince. «La consommation de télévision est familiale , analyse René Saal, on n'a pas la même attention qu'au cinéma.» Sans parler des téléspectateurs qui portent déjà des lunettes et doivent enfiler cette deuxième paire par-dessus : pratique. Selon un sondage du Film français , 60% d'entre eux se disent gênés par le port de lunettes 3D. Pire, 55% de ceux qui ne portent pas de lunettes sont également gênés. Ajoutons à ces chiffres calamiteux les 30% de téléspectateurs qui, selon René Saal, ne perçoivent pas du tout la 3D, et voilà une technologie d'avenir bien mal embarquée.

Sauf que, magie, il y a la 3D sans lunettes. Dorcel a ainsi profité du MIP pour faire des démos de cette bestiole, la 3D relief auto-stéréoscopique. Voilà le grand écran, deux dames toutes nues dedans, une autre à peine plus habillée qui apparaît nettement à l'arrière-plan et, semblant flotter devant la télé, le logo de Dorcel. Pas très convaincant. Alors, soit on a la libido dans les chaussettes, soit le truc n'est pas encore au point. Ouf, c'est la deuxième option, explique Grégory Dorcel qui, avec cette expérience, tente d'accélérer le mouvement : «La 3D ne fonctionnera que quand les télés sans lunettes seront généralisées.» Ce n'est pas pour demain : les premiers téléviseurs se vendent à 10 000 euros pièce… «De toute façon, balaye Grégory Dorcel, la 3D n'est pas là pour remplacer la 2D, c'est un divertissement complémentaire, on ne regardera jamais tous les programmes en 3D.» On ne dit pas autre chose à Canal +, qui diffuse un match et un film par mois en relief sur sa chaîne dédiée. «Je suis un peu déçu , avoue René Saal, qui a scruté de près ses abonnés. Même chez les téléspectateurs très motivés par la 3D, ça ne prend pas, c'est inquiétant.» Pire, les études de Canal + ont montré que les gens ne restent pas jusqu'au bout du programme en 3D : «Ils viennent voir , raconte René Saal, et puis ils retournent en 2D.» Dans leur plat PAF.

Paru dans Libération du 7 septembre

De nos envoyés spéciaux à Cannes

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