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Libération

«Deezer pourrait compenser l’érosion du marché du disque»

par Christophe Alix
publié le 6 juin 2011 à 11h59

C'est ce matin que sort la nouvelle version de Deezer, le site français de musique en ligne. Une version évidemment plus «sociale» promet Deezer qui, grâce à l'inclusion de son offre payante dans les forfaits d'Orange, a vu ses abonnements premium augmenter. Ils dépasseraient aujourd'hui largement le million contre 500000 début 2011. Alors que SFR vient d'annoncer son rapprochement avec le suédois Spotify -- principal concurrent de Deezer et leader mondial de la musique par abonnement -- le PDG de Deezer, Axel Dauchez, fait le point sur l'évolution de l'offre de musique en ligne, un secteur en pleine mutation.

Cette nouvelle version est, selon vous, la plus forte inflexion de Deezer depuis le lancement de la formule payante fin 2009. Pourquoi ?

C’est d’abord une nouvelle interface avec des fonctionnalités inédites et une composante éditoriale encore plus affirmée qui constitue la marque de Deezer. C’est aussi, maintenant que l’on a prouvé notre capacité à recruter des abonnés payants en grand nombre, la mise en place de nouvelles conditions d’accès qui doivent nous permettre de faire évoluer notre modèle afin d’inciter nos utilisateurs réguliers à s’abonner.

S’agit-il de restreindre l’accès à l’offre gratuite et de répondre aux attentes des majors qui réclament, comme l’a dit le patron d’Universal, Pascal Nègre, une «dégradation de l’offre gratuite» ?

On est prêt à cette «dégradation» du gratuit même si je n’aime pas ce mot, mais pas à dégrader l’usage de nos «visiteurs du dimanche». La frontière est peut-être étroite, mais il ne faut pas s’en prendre à ce public qui est dans une sorte de sas entre piratage et modèle payant, auquel il n’est pas encore forcément converti, mais vers lequel il migre progressivement. C’est pourquoi nous avons décidé, après en avoir longtemps discuté avec les maisons de disques, de limiter à cinq heures par mois l’écoute gratuite. En revanche, pas question, comme l’a fait Spotify, de restreindre de manière très contraignante l’accès au catalogue. L’usage gratuit doit être limité, mais le choix de la musique doit rester libre. A trop vouloir restreindre le service, on risque de pousser une partie du public dans l’illégalité.

Avez-vous convaincu toutes les majors, y compris Universal ?

Non, mais presque toutes. On a trouvé une solution acceptable pour la grande majorité des ayants droit qui ne sont pas tous d’accord entre eux. J’espère que les autres seront vite convaincus que cette évolution significative permettra de faire bouger rapidement les lignes entre une écoute gratuite, qui reste très majoritaire, et un mode payant, qui n’en est pas moins en pleine croissance. Les abonnés ne sont pas seulement plus rémunérateurs pour l’industrie du disque, ils le sont aussi pour nous, d’où notre intérêt à convertir un maximum d’utilisateurs au payant.

Certains critiquent le fait que vos abonnés l’ont été via Orange, et qu’ils n’ont pas fait la démarche seuls…

Il fallait trouver une solution de masse pour transformer une marque synonyme de gratuité en un service que l’on accepte de payer et grâce au «cheval de Troie» d’Orange, on a réussi cette métamorphose. Mais la valeur intrinsèque des abonnements n’est pas liée à leur provenance, elle est liée au fait qu’en moyenne, les usagers premium utilisent Deezer trente heures par mois avec un taux de satisfaction très élevé.

Comment voyez-vous la concurrence avec Spotify, et avec ces nouveaux services «en cloud» avec Google ou Apple… ?

On en est encore au début même s’il apparaît qu’entre le téléchargement et l’abonnement, c’est ce dernier qui va l’emporter. Les sites comme Deezer et Spotify généreront bientôt autant de revenus que le téléchargement et, dès cette année, à condition que la chute du marché physique reste limitée, il est possible que l’essor de services comme le nôtre réussisse pour la première fois à compenser l’érosion continue du secteur depuis dix ans. Ce serait historique, le signe que la transition est enfin réalisée.

Et la concurrence ?

Il peut exister des différences de positionnement entre un Spotify et un Deezer, mais l'essentiel n'est pas là. L'acteur archidominant s'appelle iTunes et l'arrivée prochaine de l'iCloud d'Apple [accès à distance à sa discothèque, ndlr] sera suivie de très près par tout le nouvel écosystème de la musique. En se lançant dans ce type de service, Apple reconnaît que l'important n'est plus de posséder sa musique, mais de pouvoir y accéder quand on veut et comme on veut.

Qu’est-ce qui fera la différence ?

Les gens sont perdus dans cette profusion, ils ont besoin de choix, de vrais conseils. On n’a pas inventé 5 % de ce que l’on peut faire dans ce domaine ! Demain il y aura plein de jukebox virtuels, mais ce qui fera la différence, ce sera la capacité à faire partager la musique, à la transmettre avec de vrais partis pris artistiques. Entre le juke-box virtuel et la réinvention du métier de disquaire à l’ère des réseaux, Deezer a choisi son camp.

Paru dans Libération du 6 juin 2011

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