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Libération

Y’a bon «la Ferme Célébrités»

Si vous avez raté le début de la chose, c'est pas la fin du monde, on vous explique tout.
par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 8 février 2010 à 15h06
(mis à jour le 8 février 2010 à 15h06)

«La Ferme Célébrités ? En Afrique ? Sur TF1 ? Ah non, je ne connais pas.» Et voilà. Vous venez de vous suicider socialement. La soirée qui battait son plein s'est brutalement interrompue, la maîtresse de maison a peut-être arrondi ses lèvres en un «o» de muette indignation. Un convive aura même, saisi par la surprise, laissé échapper une flûte qui s'en est allée au ralenti se fracasser dans l'étourdissant silence causé par votre brutale inconséquence. Ah, butor que vous êtes… Heureusement, Libération est là pour vous tirer de ce que nos amis anglais appellent un «social faux pas». Découpez cette page et faites en une élégante pochette que vous glisserez dans votre costume ou, Madame, un délicat carré grâce auquel, faisant semblant de tamponner le coin de votre bouche, vous saurez briller en société.

Si vous avez raté le début

Si quand on vous dit «ferme» vous pensez «meuh», tout est à faire. Alors rewind  : il y a des milliards d'années, en 2004, un homme étrange nommé Raffarin régnait sur la France dont il louait celle d'en bas, si possible portant sabots crottés et sarclant à la houe. Sitôt dit, sitôt fait, TF1 parachutait une poignée de has been dans la crotte de poule et moissonnait de la part de marché. En 2005, tandis que le raffarinisme se mourait, la Une remettait le couvert de sa télé-réalité cocorico-poujadiste, et se cassait la margoulette. 2010 - on ne veut pas croire que ce soit l'élégance naturelle sarkozienne qui ait inspiré cette esthétique dorure-peau de zèbre -, revoilà la Ferme repeinte en léopard, belle comme une trace de jeep dans la terre orange d'Afrique. Du Sud, l'Afrique, histoire que le téléspectateur veille, une fois les célébrités rerangées dans de maigres échos d' Ici Paris , à ne pas changer de chaîne pour suivre les aventures de l'équipe de France de ballon.

Mais qui sont ces gens ?

Et c’est là, dans un complexe touristique de luxe redécoré en jungle (pensez, les girafes et les antilopes se baladent dans la cour comme de gaulois dindons) que sont exposés, au prétexte de causes caritatives, seize intermittents du vedettariat. Et comme vous n’aviez pas, contrairement à 7 millions (eh oui) de consciencieux téléspectateurs, rempli votre devoir cathodique vendredi 29 janvier lors de la première, voilà la brochette. Aldo Maccione est de la partie, de même que le lumbago qui affecte sa démarche depuis le milieu du XXe siècle.

Dans le haut du panier, figurent également Grégory Basso, plus connu sous le sobriquet de Greg le millionnaire , et Adeline Blondieau (ex de Sous le soleil et de Johnny ou l'inverse). On compte aussi Francky Vincent (chanteur de gauloiseries guadeloupéen), Claudette Dion (non, il n'y a pas de faute de frappe, c'est la sœur), Surya Bonaly (ex «perle noire de la glace» , selon Nelson Monfort), Brigitte Nielsen ( somewhere over the Rambo ), Jeane Manson ( remember le 6 mai 2007 à la Concorde), Mickaël Vendetta (personnage de connard cosmique se décrivant lui-même comme une fiction et il faut dire que c'est très bien imité), David Charvet (garçon de plage dans Alerte à Malibu ), Hermine de Clermont-Tonnerre (jet-setteuse au sang vaguement bleu en vogue du temps d'Yves Mourousi), Célyne Durand (dont le «y» indique qu'elle montre ses fesses à la télé) et Kelly Bochenko (preuve que le «y» a son importance puisque c'est l'ex-Miss Paris destituée pour cause de photos de fesses). Là, sagaces que vous êtes, vous nous direz qu'il en manque trois, mais on s'en fout, on ne les connaît pas.

«Yé souis trrrès content»

Vous voilà donc équipé, cher lecteur, pour tenir la place qui vous revient en société. Du coup, on vous parachute direct dans une soirée chez Nonce Paolini, le patron de TF1. Faites-vous remarquer d'emblée : «Yé souis trrrès content d'êtrrre en Austrrralie.» Succès assuré, puisque c'est là la première déclaration d'Aldo Maccione foulant la terre d'Afrique du Sud. Approchez-vous alors de Nonce Paolini, taillant le bout de gras avec Frédéric Lefebvre (ben quoi ?). «Quelle belle idée tu as eue , est en train de s'exclamer le porte-parole de l'UMP, diviser la Ferme entre riches confortablement logés et pauvres dormant sur des matelas farcis de vermine.» Abondez : «Oui, bravo, Nonce, cette exaltation du travail, les chefs faisant trimer les autres candidats qui ne peuvent quitter leur condition qu'en curant le cul des zébus, la méritocratie, c'est so 2010.» De même, flattez l'humour exceptionnel dont se repaît la Ferme : «Vous les féliciterez, Nonce, chez Endemol, diffuser la chanson 'Vas-y Francky, c'est bon' pendant que Francky Vincent est en train de traire une vache, c'est tellement cocasse.» N'oubliez pas non plus de féliciter Nonce pour l'émotion émolliente qui se dégage de la Ferme . Et tout de go balancez : «On peut être le plus riche, le plus beau, le plus intelligent, ça ne veut rien dire quand on est en Afrique parce que c'est les animaux et la terre qui contrôlent à peu près tout.» Là, vous l'avez bluffé, le Nonce qui n'avait même pas repéré votre verbatim de David Charvet, les yeux perdus dans les remous du fleuve bordant le zoo de TF1.

«L’aventu’e de l’année»

Là, il est tard et vous pouvez ouvrir les vannes - vous êtes entre vous - et fustiger ceux qui osent traiter de raciste votre nouvel ami Nonce, tels ces foutriquets de Jeune Afrique : «Tss, Nonce, n'importe quoi, moi j'ai beaucoup goûté ce mot de Benjamin Castaldi :'Le chef du village m'a proposé d'épouser sa fille en échange de onze vaches.' C'est tellement vrai.» Dites aussi à quel point vous avez apprécié ces sauvages à demi-nus accueillant, sagaie à la main, les célébrités, bel hommage à Tintin au Congo (1930). Rien n'a changé, même si vous regrettez l'absence de marmite pour faire cuire les Blancs : pas très réaliste. Avouez sans honte combien vous plaît cette image de l'Afrique du Sud réduite à un continent noir peuplé de primitifs en pagne, d'éléphants en furie, de «papillons de la taille d'un deltaplane» comme dit Benji, et de lions rugissant à la vue de la femme blanche. Et pour finir la soirée, entonnez joyeusement, façon fête de la bière, le si comique générique de fin de l'émission en petit-nègre : «C'est l'aventu'e de l'année/Chez les people ça va chauffer/ Dans la savane, pas de qua'tier… »

Publié dans Libération du 06/02/2010

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