Vuze: «il y a très peu de demande pour du contenu payant sur le net»

par Sébastien Delahaye
publié le 3 juin 2008 à 17h27
(mis à jour le 3 juin 2008 à 17h29)

Logiciel libre, Azureus est l'un des principaux clients de téléchargement via BitTorrent. Créé en 2003 par un Français, le logiciel a profité de la communauté open-source pour se développer. Depuis 2006, Azureus propose également une offre légale via la plateforme Vuze, qui passe également par BitTorrent. De passage à Paris, le français Gilles BianRosa, PDG et co-fondateur de Vuze, a répondu à nos questions.

D'où vient Vuze?

_ On a créé la société en octobre 2005. J'ai rencontré un des ingénieurs qui avait développé Azureus, un gros logiciel de téléchargement via BitTorrent. On s'est bien entendus et on a réalisé qu'il y avait beaucoup de potentiel lié à la technologie. On s'est donc associés et on a implanté la société aux Etats-Unis, où moi je vivais depuis 2001 dans la Silicon Valley. Aujourd'hui, Vuze, c'est 24 millions de logiciels installés, sept millions de visiteurs uniques par mois sur notre site et une quarantaine de personnes à Palo Alto, en Californie. Notre idée, c'est d'utiliser le concept du peer to peer pour proposer un mode de distribution différent, avec une offre qui permet à des fournisseurs de toutes sortes (studios de films, chaînes de télévisions, nouveaux studios indépendants qui se créent sur le net) de distribuer un contenu de haute qualité.

Justement, pour l'instant, ces fournisseurs, quels sont-ils?

_ On parle avec tous les studios d'Hollywood depuis deux ans et demi. On regarde les accords de distribution qui pourraient être créés avec eux. Pour l'instant, on a tendance à passer à chaque fois. Hollywood n'est pas vraiment complètement prêt aujourd'hui pour la mise en ligne de films. Les films qu'ils proposent sont déjà vieux. Il y a quelques exemples de films qui arrivent sur le net en même qu'en salles ou qu'en dvd, mais ça reste presque de l'anecdote. Et ce modèle, avec les films qui arrivent très tard, que ce soit à la vente ou à la location, pose des problèmes. Le principal étant qu'il y a en fait très peu de demande aujourd'hui pour la consommation de contenus payants sur Internet. Les gens sont habitués au gratuit, même pour des contenus de bonne qualité.

Mais ça marche quand même très bien pour la musique...

_ La musique c'est différent, c'est une autre question. Mais pour le concept de regarder un film via le net, là c'est une niche aujourd'hui. Il y a vraiment une très très faible minorité des internautes qui sont prêts à payer pour un film sur Internet, soit pour l'acheter, soit pour le louer.

Ca vient du fait que le web est gratuit, l'information est gratuite. La télé, une fois que vous avez payé l'accès, c'est pareil, c'est gratuit. Et je pense que les gens ont du mal à comprendre pourquoi ils devraient payer pour des contenus vidéos sur Internet. Pour la musique, c'est une valeur d'usage, avec une durée de vie beaucoup plus longue que la vidéo. Une chanson, je peux l'écouter une cinquantaine ou une centaine de fois, et je vais développer un rapport avec. Alors qu'un film, je le regarde une fois, peut-être une deuxième fois et généralement ça s'arrête là.

Du coup, vous gagnez quoi dans tout ça?

_ On laisse les fournisseurs de contenus choisir leur business-model pour notre plateforme: ils peuvent les vendre, les louer, mais la plupart choisissent de mettre des contenus gratuits et supportés par la publicité. Ca limite forcément le nombre de films d'Hollywood récents que vous pouvez avoir. On essaye de se concentrer plutôt sur les fournisseurs de contenus qui veulent expérimenter avec Internet d'une autre manière qu'en mettant juste des clips sur Youtube ou Dailymotion. Ici, on met des épisodes entiers en plein écran. Aujourd'hui, on a à peu près 200 partenaires, avec des sociétés relativement connues comme PBS, Showtime et National Geographic, mais aussi des studios indépendants qui conservent leurs droits de diffusion. Par exemple, on a une série de SF qui s'appelle Sanctuary , disponible en HD (payante) et en qualité DVD (avec de la publicité) sur Vuze. Ils ont un budget de production assez élevé, autour de 10 millions de dollars. Ils nous ont choisi comme partenaire dans l'idée de créer la demande, de montrer leur produit à des fans de SF. NBC Universal vient d'acheter ces contenus pour les diffuser à la télévision aux Etats-Unis. Ce sera sur la chaîne SciFi en septembre.

Toute cette série télé a d'abord été diffusée sur notre plateforme pendant un an, gratuitement. L'intérêt de travailler avec ce genre de studios, c'est qu'ils ont des droits globaux, et on peut donc distribuer la série partout dans le monde. On se charge de notre côté de trouver la publicité pour chaque pays.

En France, vous êtes menacés par la loi Dadvsi?

_ Oui, en tant qu'auteur de logiciel. Mais l'un des challenges de la loi, c'est qu'elle est difficilement applicable parce qu'elle est extrêmement vague, dans la manière dont elle est définie. Nous n'avons pas pour intérêt de faciliter le piratage, puisque nous sommes un compétiteur du piratage avec notre offre légale.

Et puis attaquer les outils qui permettent, par leur technologie, de rendre la distribution des contenus plus facile et donc de limiter le piratage sur Internet, ça me paraît contradictoire. Vuze est un client, une application qui permet d'utiliser un certain protocole sur le réseau, que le contenu soit légal ou pas. C'est très difficile techniquement de savoir si une copie qui transite par notre logiciel est légale ou pas, et ça exige également un coût monstrueux. Mais on reste ouverts, on travaille avec tous les fournisseurs de contenus que ce soit aux Etats-Unis ou en France. Et on suit évidemment l'évolution des lois en France. Aux Etats-Unis, on travaille également avec des groupes comme la MPAA et la RIAA.

Mon point de vue sur la question, c'est que pour combattre le piratage, il faut deux choses : la carotte et le bâton. Le bâton, c'est un portefeuille de lois qui ne suffit sûrement pas. Et la carotte, c'est créer une expérience utilisateur qui soit meilleure que celle du piratage. Donc ça veut dire beaucoup de contenus gratuits, de haute qualité, et qui sont délivrés rapidement. Et pour ça, il y a une seule technologie aujourd'hui qui fonctionne de manière satisfaisante, c'est le peer to peer. Si on se contente du bâton, on a la manière brutale, qui va oblitérer l'innovation. Ca n'empêchera certainement pas le piratage, mais ça empêchera d'avoir des sociétés comme Vuze, qui tentent de le contrer en offrant une qualité comparable pour l'utilisateur.

Il y a quelques semaines, vous avez publié une étude sur le filtrage chez les différents fournisseurs d'accès dans le monde...

_ On s'est rendu compte il y a dix-huit mois que certains fournisseurs d'accès à Internet aux Etats-Unis filtraient notre protocole, ce qui bloquait nos utilisateurs. Au départ, on a développé des systèmes d'abord dans Azureus et ensuite dans Vuze qui permettaient de contrer ce filtrage. On a joué au chat et à la souris avec les FAI comme ça pendant quelques temps. Et puis il y a eu une escalade. Certains FAI hackaient notre réseau pour casser des connexions entre nos utilisateurs. Là, c'était un peu trop: si les FAI utilisent des techniques de pirates pour empêcher le développement de technologies comme la nôtre, ça nous pose un problème. On est une petite société, on a autre chose à faire que d'aller attaquer Comcast, mais on s'est dit que c'était anormal. On est allé déposer une pétition à la FCC [Federal Communications Commission, le régulateur américain des télécoms, ndlr] pour leur demander de stopper l'usage abusif du droit qu'ont les FAI à gérer leur réseau. Entre temps, Comcast a changé de position et dit qu'ils ne le feraient plus. Pour nous, ça a été une action assez productive. Plusieurs FAI ont accepté de travailler avec nous afin que ça n'arrive plus.

Ces blocages, ça venait d'où?

_ En ce moment, il y a des pressions de tous les côtés. Les ayants droit, par exemple. Mais surtout, le piratage et l'explosion de la vidéo en ligne font que les FAI doivent agrandir leur réseau, qui devient difficile à gérer. D'autant que tout le monde s'y met. Maintenant, il y a les sites de partage, la VOD, les services de téléchargement comme Vuze, l'arrivée de la Catch-up TV pour les chaînes plus classiques...

Finalement, on assiste peut-être à la fin du modèle traditionnel, avec des gens qui s'assoient devant la télé pour regarder un contenu qu'on leur impose. C'est un modèle qui va mourir. Ca va prendre un certain temps pour mourir, mais ça va disparaître. Internet a démontré qu'on pouvait avoir accès à l'information qu'on voulait, comme on voulait et d'où on voulait. Et la même chose va se passer pour les programmes en vidéo une fois que les technologies seront là pour les supporter. En un sens, le piratage n'est qu'un exemple de ça.

A lire également sur ecrans.fr :

_ - Internet : La guerre de la neutralité

_ - Mode d'emploi : Télécharger avec BitTorrent

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