Un raid qui relance le débat sur l’Hadopi

par Sophian Fanen
publié le 22 janvier 2012 à 13h17

Le timing était presque parfait. Révélée jeudi en fin de soirée, l'arrestation des dirigeants de MegaUpload est venue précipiter le débat sur la «culture à domicile» ouvert quelques heures plus tôt par François Hollande. Dans un discours prononcé à Nantes, le candidat socialiste à la présidentielle a proposé de remplacer la logique répressive choisie par la droite avec l'Hadopi par une libération des échanges au bénéfice des artistes.

Un système qui passerait, entre autres, par l'instauration d'une contribution payée par chaque abonné à Internet, redistribuée ensuite à la filière culturelle. Et quelle meilleure preuve de la motivation des internautes envers cette «licence globale» que le gigantesque réseau MegaUpload, avec ses 50 millions de visiteurs par jour et ses 150 millions de dollars (116,2 millions d'euros) perçus sur des abonnements «premium» en cinq ans ? «MegaUpload a prouvé qu'il y a une vraie demande pour un système performant qui permette de faire circuler la culture contre un abonnement. Quand aura-t-on accès à un équivalent légal ?» nous demandait vendredi après-midi un internaute de Libération.fr. La chute de MegaUpload a définitivement inscrit cette question dans la campagne présidentielle.

«Oui, il y a besoin d'un nouveau modèle , plaidait vendredi la députée Aurélie Filippetti pour le camp Hollande. Le combat ultrarépressif d'Hadopi contre le seul peer-to-peer a fait place au monstre qu'est MegaUpload, qui profitait des œuvres sans rien reverser aux artistes. C'est comme à l'époque de la prohibition aux États-Unis : les Américains sont allés chercher l'alcool dans des bars clandestins qui sont devenus ingérables. […] Il faut mettre fin à ce genre de pratiques, sauf qu'on ne peut pas arrêter tout le monde et qu'il est plus intéressant de créer une solution légale de qualité et accessible à tous.»

Eva Joly a défendu une position similaire vendredi pour Europe Écologie-les Verts, estimant que «la fermeture de MegaUpload […] est un symptôme supplémentaire de l'incapacité des pouvoirs publics à se projeter au XXIe siècle et à concevoir un projet global éthique, associant rémunération des auteurs et fluidité de la culture sur Internet. Faute de stratégie publique intelligente […], on continuera à assister à une guerre de l'industrie du copyright face aux créatures qu'elle a engendrées.»

Cette question, le secrétaire national de l'UMP en charge des nouvelles économies, Benjamin Lancar, a avoué se l'être «posée» jeudi, après que François Hollande a accusé l'UMP de n'avoir pas «rapporté un sou à la création» avec l'Hadopi. Puis à nouveau vendredi, alors que le Parti socialiste achevait d'enterrer la Haute Autorité, coupable d'avoir permis à des sites comme MegaUpload «de se développer dans le silence de la loi» -- puisque l'Hadopi ne cible que les échanges en peer-to-peer. «Mais je ne vois pas de solution dans la licence globale , a fini par réaffirmer Benjamin Lancar au nom du parti présidentiel. Sur ce sujet, la fermeture de MegaUpload invalide fortement les propositions de François Hollande, puisqu'une licence franco-française serait à la merci de désaccords juridiques avec d'autres pays.» Et pourtant, l'UMP a des enseignements majeurs à tirer de la chute du système MegaUpload, saluée par Nicolas Sarkozy dès jeudi soir. Ce nouveau vide créé pourrait, comme cela se passe depuis dix ans, entraîner la naissance de plateformes de téléchargement encore plus opaques.

«Je suis réaliste , a fini par lâcher Benjamin Lancar, les politiques auront toujours un temps de retard sur les internautes.» Mais alors, on continue à leur courir après éternellement ? «Non, on les incite à aller vers des offres légales avec une politique pédagogique, équilibrée… Aujourd'hui, la meilleure réponse que l'on ait, c'est Hadopi. Peut-être qu'un jour ce sera la licence globale, mais pas aujourd'hui.» On notera au passage un frémissement à l'UMP sur cette idée, qui a «toujours eu [la] préférence» de François Bayrou (enfin, depuis deux ans), tandis qu'à l'extrême droite, Marine Le Pen s'est carrément engouffrée dans le vide laissé par les hésitations du Parti socialiste et la vision figée du gouvernement. La candidate du Front national rappelait vendredi qu'elle souhaite «l'instauration d'une licence globale pour les échanges privés sur Internet, qui doivent rester libres sans que cela ne prenne en otage les ayants droit, producteurs, auteurs-compositeurs et interprètes» .

Ce qui est acquis, en tout cas, c'est que MegaUpload ne sera plus un acteur de ce débat en France, alors qu'un de ses représentants était encore, le 11 janvier, venu défendre son modèle «jamais poursuivi en justice» lors d'une table-ronde au Sénat consacrée à la rémunération des créateurs sur Internet. Emmanuel Gadaix, un Français installé à Hongkong, avait alors réaffirmé que «le partage est l'ADN d'Internet» , et qu'essayer de le contenir est «comme d'arrêter une rivière avec ses mains» .

Cette rivière s’était transformée en flot de dollars mal intentionnés pour MegaUpload, mais ces idées n’en sont pas moins la charpente de l’Internet de demain, en France comme ailleurs.

Paru dans Libération du 21 janvier 2012

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