Tir à vue sur l'amendement anti-Hadopi à Bruxelles

par Astrid GIRARDEAU
publié le 2 avril 2009 à 14h17
(mis à jour le 2 avril 2009 à 21h52)

Depuis son vote massif (88%) par le Parlement Européen en septembre dernier, l'amendement 138 témoigne du rejet, par l'Europe, d'un système de riposte graduée, comme prévu par le gouvernement français dans son projet de loi Création et Internet. Ce texte, déposé par les eurodéputés Guy Bono, Daniel Cohn-Bendit, et Zuzana Roithová stipule qu' «aucune restriction aux droits et libertés fondamentales des utilisateurs finaux ne doit être prise sans décision préalable de l'autorité judiciaire» . Aujourd'hui, ce texte, qui doit être voté en seconde lecture, par le Parlement Européen d'ici quelques semaines, est en train d'être complètement vidé de son sens.

En réaction au vote, alors que dans les couloirs du ministère, on racontait que Guy Bono «donne de l'urticaire» à la ministre, en façade celle-ci déclarait être totalement sereine : «ce texte se borne à rappeler un principe très général, qui n'ajoute rien au droit existant» , et «les mesures envisagées par le projet de loi ne portent en aucun cas atteinte aux "droits et libertés fondamentaux"» . Pourtant les semaines suivantes, la France se démenait pour faire pression. Le sommet étant atteint avec l'envoi d'une lettre par Nicolas Sarkozy lui-même à José Manuel Barroso, le président de la Commission européenne, pour lui demander le rejet de l'amendement 138. Ce dernier refusait, mais sous la pression de Paris sur tous les Etats Membres , le 27 novembre, le Conseil européen des ministres télécoms le rejetait .

« Si cet amendement est retiré, je le redéposerai de toute façon en deuxième lecture au printemps 2009» , promettait alors Guy Bono. Ce qui a été fait début mars, sous le numéro 46, par la rapporteuse elle-même, Catherine Trautmann.

Parallèlement, l'examen du projet de loi Création et Internet suit son cours. Et le rapporteur Franck Riester et la ministre ne se privent pas, en séance, pour rabaisser la portée de cet amendement (et encore plus celle du rapport Lambrinidis ). «Par ailleurs, le fameux amendement Bono, dont on a parlé l'an dernier, a été repoussé par le Conseil des ministres de l'Union européenne. On peut toujours tirer des plans sur la comète, et penser qu'un futur amendement prévoyant ceci ou cela sera voté dans l'avenir. Mais, à ce moment-là, on ne voterait plus rien en France» , déclarait encore hier le rapporteur .

Et il a effectivement de quoi se réjouir. Tout d'abord, le passage en deuxième séance du Paquet Télécom a été repoussé à la fin du mois, 21-24 avril. Et encore plus vraisemblablement au 4-7 mai. Donc longtemps après le vote du projet de loi Création et Internet par l'Assemblée Nationale, qui pourrait se produire dès ce soir.

Lundi, un trilogue avait lieu à Bruxelles. Il s'agit de discussions entre la Commission Européenne, la Présidence du Conseil et les rapporteurs au Parlement Européen pour tenter d'arriver à un consensus avant le passage d'un texte en deuxième lecture. Et ainsi raccourcir le processus législatif. Ce dernier est arrivé à un accord sur tous les textes, sauf ceux concernant la neutralité du net, et l'Amendement 138/46, la France et le Royaume Uni souhaitant le faire supprimer.

Or, hier, les administrateurs des 27 Etats membres chargés de préparer les décisions du Conseil de l'UE (regroupés sous le terme de Coreper) sont tombés sur un accord à propos du fameux 138/46. Cette nouvelle version dit : « aucune restriction ne peut être imposée sur les droits fondamentaux des utilisateurs, sans une décision préalable d'autorités légalement compétentes.» En remplaçant «autorité judiciaire» par «autorités légalement compétentes» , elle évacue l'essence même du texte, rend légal, au niveau européen, le système de riposte graduée à la française. De plus, ils ont modifié le statut de l'amendement. Il ne s'agit plus d'un article, mais d'un considérant, c'est à dire une opinion qui n'a pas à être imposée en droit national.

«Le Conseil tente de légaliser la riposte graduée française, ouvrant ainsi la porte à des justices administratives parallèles en Europe , critique Jérémie Zimmermann , de La Quadrature du Net. Des restrictions administratives sur les droits fondamentaux ne sont pas tolérables dans les démocraties européennes. »

«L'amendement 138 voté par 90% des députés européens doit être défendu jusqu'au bout! , réagit Guy Bono. Il en va de l'avenir de la démocratie européenne: comment Sarkozy compte t-il faire pour convaincre les français d'aller voter aux prochaines élections européennes s'il piétine à ce point l'avis du Parlement européen?»

La prochaine étape est un nouveau trilogue qui doit avoir lieu ces prochains jours. Il est alors encore envisageable que le Parlement Européen, et le rapporteur, Catherine Trautmann, demandent à réintroduire le texte original.

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