Sur Google, suggérer n'est pas pirater

par Camille Gévaudan
publié le 4 mai 2011 à 16h21
(mis à jour le 4 mai 2011 à 18h01)

Google a-t-il fait du zèle pour plaire aux ayants droit ? C'est ce que laisse penser un arrêt rendu hier par la cour d'appel de Paris, jugeant que le moteur de recherche n'est pas tenu de filtrer ses suggestions automatiques, même lorsque celles-ci sont étroitement liées à des techniques populaires de piratage. Manque de bol, l'avis de la justice tombe un peu tard : Google a déjà mis en place un tel filtrage depuis trois mois, de son propre chef.

La décision a été annoncée en décembre 2010 et n'a été influencée, officiellement, par aucun cadre légal ni conflit juridique. L'initiative est venue de l'entreprise elle-même, pour contenter et apaiser les ayants droit qui semblaient soupçonner chez Google quelque réticence à coopérer avec leur lutte anti-piratage. Pour prouver sa bonne volonté, Mountain View s'est engagé à répondre en moins de 24 heures aux requêtes des ayants droit signalant une infraction au droit d'auteur dans les résultats de recherche.

Et pour aller encore plus loin, il a également été décidé de filtrer quelques termes souvent tapés par les internautes dans le moteur de recherche. Grâce à (ou à cause de) leur succès, les mots «torrent», «Rapidshare», «MegaUpload» et leurs concurrents se sont mis à apparaître de manière automatique dans les «suggestions» de recherche Google, ces expressions s'affichent automatiquement au fur et à mesure que l'on tape une requête dans le moteur de recherche. À peine commençait-on à écrire le titre d'une chanson que Google proposait d'y associer «Rapidshare» ou «MegaUpload»...

Or, «Google Suggestion est une fonctionnalité incitative en raison de la part de marché du moteur de recherche Google» , a estimé, selon la cour d'appel de Paris, le Syndicat national de l'édition phonographique (SNEP). L'association interprofessionnelle, qui défend les intérêts de l'industrie du disque en France, a donc fait réaliser deux procès-verbaux début 2010 pour constater que «ce moteur de recherche orientait les internautes recherchant de la musique en ligne vers des sites de téléchargement éventuellement illégal par la suggestion de mots-clés» . Le 15 avril, le SNEP assignait Google en référé devant le tribunal de grande instance de Paris (TGI). Il demandait la suppression des termes litigieux sous astreinte de 1000 euros par jour de retard et par suggestion. Le jugement est tombé le 10 septembre 2010 en faveur de Google, et le SNEP a fait appel.

Mais entre temps, peut-être menacé de procès similaires par des ayants droit américains, Google a fait disparaître de lui-même quelques unes de ces suggestions polémiques. On constatait ici-même à la fin janvier 2011 que «Rapidshare», «uTorrent» et «MegaUpload» avaient disparu de Google Suggest.

C'est dans ce contexte qu'a été rendu hier l'arrêt de la cour d'appel de Paris qui confirme en tous points la décision du TGI. Elle a notamment rappelé que les suggestions automatiques ne devaient pas être confondues avec l'hébergement de contenus illégaux : «Google ne stocke pas les fichiers ou pages en cause sur ses serveurs ; il se contente d'indexer automatiquement le contenu du web aux requêtes des internautes et il suffit à tout ayant droit dont les droits d'auteur sont méconnus de solliciter la désindexation et la suppression de cette page du moteur. En l'espèce, Google s'est conformé aux demandes de déférencement formulées par le SNEP.»

La cour d'appel a en outre noté que l'activité de Megaupload et cie n'avait rien d'illégal en soi : «"torrent" est un protocole de transfert de données pair à pair à travers un réseau informatique, "megaupload" est un site web permettant à un internaute de mettre en ligne tout type de fichier et que "rapidshare" est un site web proposant aussi un service d'hébergement de fichiers.» Il résulte de ce constat que «la suggestion de ces sites ne constitue pas en elle-même une atteinte au droit d'auteur dès lors que d'une part les fichiers figurant sur ces sites ne sont pas tous nécessairement destinés à procéder à des téléchargements illégaux.»

Conclusion : «il n'y a pas lieu d'examiner la demande sollicitée par le SNEP dès lors que l'atteinte à un droit d'auteur ou un droit voisin n'est pas démontrée.» Le SNEP devra verser 5000 euros à Google pour les frais de justice.

Télécharger la décision de justice sur PC INpact (PDF)

Sur le même sujet :

- Google ne suggère plus le piratage (28/1/2011)

- Google : des ayants droit dans le moteur (3/12/2010)

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