String Emil, la grosse ficelle

par Eric Loret
publié le 10 août 2011 à 11h31

[Phénomènes du web 3/6] . Assumant sa passion exhibitionniste, cet Allemand se fait photographier pratiquement nu partout dans sa ville.

En allemand, String Emil. Euphonique. En français, on a tendance à renverser : Emil String, moins joli, quoique rappelant Emil Strindberg, mais c'est une autre histoire. String Emil habite à Baienfurt, dans le sud de l'Allemagne. «Hello, c'est moi Emil, du joli lac de Constance»,écrit-il à l'accueil de son site . Comme on s'en doute, ce pauvre garçon d'âge médian, à cheveux longs motards et parfois lunettes de soleil, ne s'appelle pas String. En revanche, il en porte un. Voire plusieurs, mais pas les uns sur les autres. String Emil a pour caractéristique de poser nu en string partout dans sa ville, au soleil et sous la neige, dans les parkings, devant les supermarchés, sur un passage piéton, un tracteur, devant une chapelle, etc. Normal.

Emil appartient «à la sphère exhibitionniste», comme il le déclare sur son site :«Je trouve tout simplement jouissif de me faire photographier en sous-vêtements sexy et aussi, de temps en temps, si c'est possible, d'être nu. Je suis très excité aussi à l'idée d'exciter des hommes et des femmes.» On a tenté de lui poser des questions par mail, il a très sobrement répondu : «www.string-emil.de». Miracle de la tautologie. Sur la gauche de sa page, une colonne infinie détaille les lieux où Emil a été photographié. Et pas qu'une fois. Ainsi, l'entrée «dans la neige» compte 68 clichés. A droite, la liste des villes qui ont bénéficié d'une épiphanie d'Emil. Des lieux aussi populaires que Strullendorf ou Überlingen ont été évangélisés par l'homme à la ficelle. Au total, sur le site, 3 618 images. Bonheur supplémentaire, chaque page thématique s'accompagne d'une affreuse musique midi qu'on ne peut pas couper.

Parmi les préférées de la rédaction de Libé, on ne manquera pas Durch die Wand (A travers le mur), où Emil, armé d'un marteau-piqueur et d'une scie à béton, massacre sa salle de bains dans un nuage de poussière, toujours en string mais sans masque ni lunettes de protection. Il y a aussi Schoko und Vanilla , une belle performance où l'artiste (si, si) se verse des crèmes dessert à deux couleurs sur le ventre et sur ce qu'il faut bien appeler sa b*** en érection, de taille consistante et gainée de satin (ou de zèbre). Plus beau encore est le film Sahnetorte («gâteau à la crème», trois minutes, 2008), dans lequel Emil mange lentement un gâteau, cuisses écartées, et louchant entre chaque bouchée sur son entre-jambes. Vers la fin, il se caresse un peu une fesse, la droite.

Tout le génie de String Emil tient à un double déplacement. D’abord de la femme à l’homme, puisqu’Emil joue le pin-up boy en reprenant toutes les poses classiques du strip-tease (genre où il excelle). Il nous dévoile même au passage le fond pictural de l’effeuillage avec des séries photo comme «A la source», qui combinent cliché académique fin-de-siècle et tortillage du cul. Par ailleurs, Emil pousse le glamour dans le bas-fond (second déplacement), en exhibant son fondement dans les lieux les plus laids de l’urbanisme contemporain, toujours ou presque dans des ZAC délavées, devenant en l’occurrence Zones d’activité culesque. Détail intime de la vie d’Emil, il se photographie plus souvent que de raison avec des carabines à la main. Quant aux écrans d’ordinateur qu’on voit derrière lui, ils n’exhibent presque que des Emil, à une ou deux filles à poil près. On est presque rassurés.

Paru dans Libération le mardi 9 aout.

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