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Libération

«Pirat@ge», hackers ouverts

par Alexandre Hervaud
publié le 15 avril 2011 à 16h29
(mis à jour le 19 avril 2011 à 18h06)

La réussite du documentaire Pirat@ge est proportionnelle aux défauts qu'on lui prêtait avant de l'avoir vu. Son titre, pour commencer, avec cette cocasserie de caractère rappelant les heures les plus sombres de l'histoire des cartes de vœux virtuelles. Son diffuseur, aussi : la dernière fois que France 4 a tenté de nous parler d'Internet, en décembre, le résultat s'appelait Est-ce que tu buzz ? et tenait de la catastrophe industrielle. Enfin, c'est à la toute récente structure de production télé du groupe MK2 que l'on doit ce docu, et bien que Marin Karmitz ne soit plus aux affaires dans la société qu'il a fondée, ses prises de position pro-Hadopi et ses raccourcis sur le sujet ( «le piratage, c'est du vol organisé» ) n'inspiraient pas vraiment confiance. Les préjugés se dissipent rapidement : qu'il s'agisse du hacking (bidouillage de matériel ou de réseaux pour en modifier l'utilité finale) ou du téléchargement illégal, le documentaire se garde bien de diaboliser les (més)actions des nerds.

Le journaliste Etienne Rouillon, coréalisateur avec Sylvain Bergère de Pirat@ge, part du postulat que le piratage a une influence plutôt positive sur l’évolution des technologies comme des usages. Qu’en mettant à mal la sécurité défaillante de leurs produits, les hackers poussent les industriels à améliorer leurs techniques. Et que les modes de consommation dits pirates (comme regarder des séries américaines le lendemain de leur diffusion outre-Atlantique en streaming) peuvent par la suite être adoptés par les chaînes.

Le documentaire n’enjolive pas pour autant les aléas de telles activités, et en rappelle notamment les risques dans ses séquences berlinoises (tentations de la cybercriminalité d’ex-membres du fameux Chaos Computer Club, morts mystérieuses de hackers…)

Tourné en France, en Allemagne et aux Etats-Unis, Pirat@ge multiplie les interventions de bidouilleurs géniaux, artistes, journalistes spécialisés, etc. interviewés de manière dynamique : pas d'entretiens statiques en studio, le tournage avec un appareil photo numérique se fait (souvent) en extérieur, du front de mer de Venice Beach, en Californie, aux bois d'Otis, dans le Massachusetts. Qu'il s'agisse du vétéran phreaker (pirate de lignes téléphoniques) John Draper, alias Captain Crunch, ou de Steven Liby, auteur en 1984 du fondateur Hackers : Heroes of the Computer Revolution , les participants sont assurés d'être compris par le plus grand nombre, le docu ayant opté pour un dispositif original : dès qu'un terme un peu technique est prononcé, l'image se gèle, et apparaît sur l'écran la définition du mot via un texte présenté façon application iPhone. Une fois les mots lus par la voix off, le plan reprend comme si de rien n'était. Une volonté de vulgarisation louable mais pénible à la longue. Le film s'achève sur un éclat de rire avec l'intervention des Gregory Brothers, stars du Net spécialistes en détournements musicaux de vidéos virales. La joyeuse bande de Brooklyn offre à Pirat@ge l'un des plus sympathiques génériques de fin vus depuis un bail, qu'on espère voir piraté et posté sur YouTube dès que possible.

Paru dans Libération du 15 avril 2011

[MAJ 19/04/2011] Le souhait qui faisait office de chute de l'article a été exaucé par un internaute, voilà donc le générique de fin du docu posté sur YouTube :

Pirat@ge

_ un documentaire d'Étienne Rouillon et Sylvain Bergère

_ France 4, ce soir, 22 h 20.

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