Nicolas Sarkozy, l’agité de l’e-G8

par Erwan Cario
publié le 24 mai 2011 à 9h58

«Les rêves d'hier sont devenus réalités et l'univers des possibles s'agrandit chaque jour devant nous.» «Quand le soleil couchant se reflète sur une mer d'huile», serions-nous tenté d'ajouter. La première phrase du mot d'accueil de Nicolas Sarkozy pour les participants de l'e-G8 Forum, qui débute ce matin au jardin des Tuileries à Paris, vaut son pesant de lait concentré. C'est que le président de la République veut se faire tout doux et brosser Internet dans le sens du poil. Ou plutôt les grands patrons d'Internet, car dans l'audience , rares sont ceux qui n'ont pas un «Président», «PDG» ou «Fondateur» rattaché à leur patronyme.

En introduction du G8, le vrai, qui se tiendra à Deauville jeudi et vendredi, le gotha du web-business est donc convié dans la capitale française pour échanger sur «l'importance et l'impact d'Internet dans la société et l'économie» . Mais c'est surtout une conduite que se rachète Nicolas Sarkozy. En effet, ces dernières années, entre le Président et Internet, ce n'est pas un roman à l'eau de rose. Il se méfie de cet outil de communication horizontale, qu'il pense incontrôlable. C'est dans son discours du 23 novembre 2007 , lors de la remise du rapport Olivennes devant mener deux ans plus tard à la création de l'Hadopi, qu'il exprime le plus clairement sa vision du réseau mondial : «Internet, cela ne doit pas être le Far West high-tech, une zone de non-droit où des "hors-la-loi" peuvent piller sans réserve les créations.» Et c'est dans ce même discours qu'il utilise pour la première fois une expression qu'il affectionne : «Je veux saluer ce moment décisif pour l'avènement d'un Internet civilisé.»

Et cet «Internet civilisé» que Sarkozy appelle de ses vœux n'est pas forcément la tasse de thé des défenseurs d'un Internet libre et ouvert , ni des internautes en général, surtout lorsqu'il se concrétise par une loi qui peut aboutir à la coupure de connexion pour le téléchargement de quelques MP3.

Mais Nicolas Sarkozy n'en démord pas : il veut réguler, c'est sa priorité. Le paroxysme est atteint en septembre dernier. Bernard Kouchner, alors ministre des Affaires étrangères, veut organiser le mois suivant une conférence internationale sur à la liberté d'expression sur Internet, et notamment sur la défense des cyberdissidents. Il a même, selon l'hebdomadaire Marianne , déjà contacté une vingtaine de ses homologues. Mais il n'a pas encore l'aval de l'Elysée. La réaction ne tarde pas. Dans une lettre datée du 15 septembre, Sarkozy explique que ce sujet n'est pas sa priorité : «Cette problématique doit être abordée de manière globale, avec le souci de prendre en compte l'ensemble des intérêts concernés, et l'objectif de bâtir un "Internet civilisé". Il ne serait pas concevable en effet que l'Internet se développe comme une zone de non-droit.» Pour que l'événement se tienne, toujours selon Marianne , il faut en changer les thèmes. Exit la cyberdissidence et la liberté d'expression, il faut du «contrôle» . La conférence est annulée…

Puis arrive, début 2011, le printemps arabe, où Internet joue un rôle majeur. Il devient difficile alors de balayer ces questions, et la notion d' «Internet civilisé» disparaît étrangement de la bouche de Sarkozy. Il préfère maintenant «Internet responsable» . «Ça passe mieux en anglais» , biaise-t-on à l'Elysée. Une grande campagne de réconciliation entre le Président et Internet se met en place (2012 approche !) avec l'annonce, en mars, de ce «G8 de l'Internet» et la constitution, fin avril, du Conseil national du numérique . Mais le fond reste sensiblement le même. On continue par exemple à expliquer dans l'entourage du Président qu' «il faut parvenir à un équilibre entre la liberté de l'utilisateur d'Internet et le respect de la propriété intellectuelle» . Comme si ces deux notions avaient le même poids dans les sociétés démocratiques et qu'il suffisait de bien régler une balance régulatrice pour que tout le monde soit content.

On connaît déjà ce qui restera de ces e-deux jours. Une jolie photo de Nicolas Sarkozy avec ceux qui sont considérés comme les grands maîtres du Web d'aujourd'hui : Mark Zuckerberg de Facebook, Eric Schmidt de Google et Rupert Murdoch de News Corp, qui fera un très bon gage de modernité pour les douze mois prochains. Ça, c'est selon les organisateurs. Pour le reste du monde, rien n'est moins sûr. Car les moteurs de recherche choisiront peut-être de faire remonter les réactions de personnalités très écoutées sur le Web, comme l'écrivain et penseur Cory Doctorow, sur le site Boing Boing : «Je pense que c'est une opération de communication, une mascarade, une tentative d'obtenir des gens qui tiennent à Internet qu'ils offrent leur crédibilité aux régimes qui sont en guerre totale contre l'Internet libre et ouvert.» Ou le journaliste Bobby Johnson qui écrit dans un texte titré «Est-ce que la France veut tuer l'Internet libre ?» : «Je suis inquiet de ce que ce sommet peut bien vouloir dire, étant donné que c'est avant tout une réunion fermée de gouvernements et de multinationales pour discuter de la meilleure façon de dépecer notre monde numérique.»

Paru dans Libération du 24 mai 2011

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