Neutralité: la réflexion avant le rapport (de force)

par Andréa Fradin
publié le 28 juin 2010 à 12h29

Ils ont fait chauffer les méninges, turbiner les synapses. Les avis, doutes et réserves des 121 contributeurs à la réflexion sur la neutralité du net, chapeautée et lancée par Nathalie Kosciusko-Morizet il y a quatre mois, viennent d'être étalés dans une synthèse ( pdf ), rendue publique le 21 juin.

Personne n'a manqué à l'appel: opérateurs de télécommunications, équipementiers, éditeurs de services sur Internet, éditeurs de contenus, association de consommateurs, ayants droit ou cercles de réflexions; tous les acteurs touchant de près ou de loin aux sacro-saints tuyaux d'Internet ont eu voix au débat.

Pour quel résultat ? Sans grande surprise, le document de synthèse ne tranche pas dans le vif et seules les oppositions depuis longtemps soulevées apparaissent dans les vingt pages du document. Le rapport tente avant tout de retranscrire le plus fidèlement possible les avis des différentes parties en présence: les mots sont donc choisis avec soin. Ainsi, quand «l'essentiel des acteurs pense que» , «certains proposent de» mais «plusieurs optent pour» , tandis qu' «une contribution avance que» ... Bref, une véritable opération chirurgicale, qui permet difficilement de saisir les pistes que privilégiera Nathalie Kosciusko-Morizet dans le rapport remis au Parlement en juillet.

Plutôt neutre ou plutôt ouvert ?

Première question qui coince, sans doute la plus importante: comment définir la neutralité du net ? Rappelons que telle qu'elle a été définie par Tim Wu, qui a popularisé le concept, la neutralité du net renvoie à un accès libre à tous les contenus sur Internet pour les utilisateurs, quelques soient leur FAI, leur localisation ou le site qu'ils visitent.

Point intéressant, dès les premières pages, le rapport indique que «plusieurs acteurs» , dont Orange, souhaite évincer l'expression «Internet neutre» , y préférant celle d'un «Internet ouvert» . La raison d'une telle substitution n'est pas d'une grande clarté, y compris pour France Télécom, qui se contente de la qualifier de «petite précision sémantique» , sans parvenir à davantage se justifier, regrette ReadWriteWeb . Pour le site, cette correction est avant tout symbolique et prouve la réticence d'Orange à s'approprier le thème de la neutralité.

Des hauts, des bas pour les débits

La position d'Orange est donc passée au scanner, tout comme celle de l'ensemble des opérateurs. Attention logique: le débat sur la neutralité s'est essentiellement structuré autour de la guerre froide que se livrent ces mêmes prestataires avec des éditeurs de services particulièrement gourmands en bande passante, comme Dailymotion. Pour certains , un véritable «début de rapport de force [s'est engagé] entre opérateurs et acteurs de l'Internet.»

Ainsi côté fixe, les FAI n'ont de cesse de réclamer la mise en place «d'un partage des coûts» investis dans le développement des infrastructures de réseaux, mis en «difficulté» par une hausse du trafic constante. Ici visés en mots à peine voilés: les plate-formes de vidéos. Le directeur juridique de Dailymotion, Giuseppe de Martino répond avec force que loin de «profiter sans jamais investir» , les sites dépensent aujourd'hui déjà beaucoup pour l'obtention de bande passante et la gestion de données. Un investissement représentant 40% des frais pour Dailymotion.

Côté mobile, même discorde. Si «l'essentiel» s'accorde sur une «approche non différenciée» du «principe» de neutralité du net sur les Internet fixe et mobile, en pratique, ça coince. Ainsi, «plusieurs acteurs» (en clair, les opérateurs) «estiment nécessaire de prendre en compte les particularités du mobile et d'adopter une certaine flexibilité.» «Flexibilité» , le mot est lancé et fâche ceux qui, comme Benjamin Bayart , défendent bec et ongles une neutralité du net à l'état pur.

Le rapport poursuit: «plusieurs contributions soulignent ainsi que le type de pratiques raisonnables est susceptible de différer au niveau technique mais aussi au niveau économique, avec sans doute des niveaux de tarification différents pour l'acheminement du trafic» . En bref, si les sites encombrent les tuyaux des opérateurs, ils devront passer à la caisse et payer le prix fort. Autre piste avancée par Nathalie Kosciusko-Morizet pour remédier à la saturation des réseaux de téléphonie: la possibilité de mettre en place des «services gérés» , autrement dit, des sites qui bénéficieraient «d'un accès prioritaire aux réseaux» . La secrétaire d'Etat a ainsi avancé l'exemple de «certains outils d'intérêt général» , comme la santé.

Comment mettre tout le monde d'accord ?

Sur la forme, comme sur le fond, là encore, les avis divergent.

Pour certains, hors de question de faire intervenir la puissance législative: Internet, dans son état actuel, est déjà neutre; mieux vaut ne pas y toucher. « J'aimerais juste qu'Internet reste comme il est. Il est imparfait, mais ça marche bien » , confiait ainsi Tarik Krim, fondateur de Netvibes et membre du comité d'experts qui a inauguré le débat sur la net neutralité. Sans être catégorique, la secrétaire d'Etat n'exclue pas une loi qui indiquerait « quels sont les principes de la neutralité et qui est en charge de la faire respecter » , précise de son côté ZDNet . Nathalie Kosciusko-Morizet est plus claire quant au rôle de l'Arcep, «en position de résoudre les litiges, notamment en amont » .

Fin du suspense et mise au clair dans quelques jours, quand le gouvernement remettra son rapport au Parlement. Ce sera aussi l'occasion de guetter, du coin de l'œil, les suites qui seront données à la loi Hadopi. Rien à voir ? Et pourtant: en filigrane de la réflexion sur la neutralité s'est répétée, à de nombreuses reprises, la demande de certains «d'élargir le périmètre d'action de la HADOPI pour prendre en

compte les nouvelles formes de piratage comme le streaming ou le téléchargement direct» .

Sur le même sujet :

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Et aussi:

- Toutes les réponses «non confidentielles» des différents contributeurs ( .zip )

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