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Murdoch fait la guerre au gratuit

L’empereur des médias a décidé de fermer son quotidien gratuit à Londres et de rendre payant, l’année prochaine, l’accès aux sites internet de ses journaux.
par Frédérique Andréani
publié le 31 août 2009 à 17h01

À 78 ans, Rupert Murdoch s'est imposé comme l'empereur incontesté des médias. Il domine un empire qui couvre les domaines du cinéma (Twentieth Century Fox), de la télévision (Fox, Sky), de l'Internet (MySpace) et de la presse écrite. Dans ce dernier secteur, il possède plus de cent journaux, parmi lesquels certains des titres les plus respectés du monde ( The Wall Street Journal, The Times… ) et certains des plus populaires ( The Sun ). Ce qui en fait un homme d'affaires particulièrement puissant et un leader d'opinion avec lequel les gouvernements des pays où ses journaux sont distribués doivent compter. En conséquence, quand le patron australo-américain de NewsCorp adopte une nouvelle stratégie, le reste du monde des médias prend note. Et, très souvent, suit son exemple.

Aussi a-t-il créé le choc quand il a récemment décidé de faire payer, à partir de l'année prochaine, l'accès au contenu des sites en ligne de ses journaux britanniques –  The Times, The Sun et leurs éditions du dimanche, The Sunday Times et News of the World . A suivi, deux semaines plus tard, l'annonce de la fermeture de son quotidien londonien gratuit, The London Paper .

Car cette double décision, qui pourrait bien révolutionner le monde de la presse écrite, va à l’encontre de deux des dogmes médiatiques les plus forts apparus ces dernières années : d’une part la croyance selon laquelle les lecteurs de journaux ne sont pas prêts à payer pour accéder à du contenu en ligne, d’autre part le principe admis que la presse gratuite constitue un modèle de développement viable appelé à grandir. Dans les deux cas, la tendance récente a largement promu l’idée que le futur de la presse écrite reposait sur les revenus publicitaires (sur papier et en ligne) plutôt que sur les ventes de journaux en kiosques.

Dans un contexte de récession, au cours duquel les revenus publicitaires de ses journaux britanniques ont chuté de 14 % en un an, Murdoch estime qu'il est nécessaire de remettre en cause ce modèle. «Le journalisme de qualité coûte de l'argent et si la révolution digitale a créé de nouveaux réseaux de distribution peu chers, cela ne signifie pas pour autant que leur contenu doive être gratuit» , a-t-il affirmé au début du mois pour justifier sa décision, lors d'une conférence de presse au cours de laquelle il a révélé les lourdes pertes financières (2 milliards de livres, soit 2,2 milliards d'euros) subies par sa compagnie NewsCorp.

L'annonce, deux semaines plus tard par son fils James qui dirige les branches européenne et asiatique de la compagnie, qu'il fermerait à partir de ­septembre The London Paper , constitue une suite logique de cette nouvelle stratégie. De fait, avec une distribution à 500 000 exemplaires, le quotidien gratuit, lancé en septembre 2006 et dont les profits dépendent uniquement des revenus publicitaires, continue de perdre de l'argent (12,9 millions de livres en 2009, soit 14,6 millions d'euros). Cette décision, basée sur les résultats d'un audit ­interne recommandant la fermeture du journal, a cependant créé la surprise auprès des 60 employés du journal, d'autant plus que 750 000 livres (environ 850 000 euros) avaient été récemment investies pour développer le site internet du journal.

Murdoch, dont la réputation de redoutable homme d'affaires se double de celle de visionnaire, semble néanmoins confiant en l'avenir : «Je suis convaincu que si nous réussissons notre pari, les autres médias suivront notre exemple» , a-t-il déclaré. Cette nouvelle stratégie de vente du contenu en ligne n'est cependant pas sans risque et pourrait placer son empire en situation de faiblesse si ses concurrents de la presse écrite continuent de distribuer leur contenu gratuitement sur leurs sites internet.

Néanmoins, s’il gagne son pari, cette décision pourrait faire de lui le sauveur de la presse écrite, en créant de nouveaux revenus en ligne dont ce secteur, touché par la baisse des ventes de journaux et la chute des revenus publicitaires, a bien besoin pour survivre.

Paru dans Libération du 31 août 2009

LONDRES, correspondance

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