«Même le pirate jouit de la liberté d'expression»

Maître Eolas revient sur la censure de la loi Création et Internet, mercredi dernier, par les sages du Conseil Constitutionnel.
par Astrid GIRARDEAU
publié le 12 juin 2009 à 10h51

Avec sa plume juste et pertinente, Maître Eolas a disséqué et commenté tous les tours, détours et alentours (on se souvient des billets sur la tribune Luc Besson) de la loi Création et Internet. Nous l'avons interrogé sur le dernier, mais probablement pas ultime épisode de cette loi. A savoir sa censure , mercredi dernier, par les sages du Conseil Constitutionnel.

Vous dites : «le Conseil a posé ses banderilles. Vient le moment tant attendu de l'estocade. Cette fois, le Conseil frappe pour tuer» . Hadopi est belle et bien morte ?

_ Elle est plutôt en coma dépassé. C'est juste un morceau qui a été ôté, mais c'est le morceau central. C'est le cœur de la loi, la possibilité de sanction pouvant aller jusqu'à la coupure de l'accès Internet qui a été supprimé. Il ne reste donc qu'une haute autorité au rôle purement consultatif, et une Commission de Protection des Droits (CPD), qui devait prononcer les sanctions, qui ne peut plus qu'engager des avertissements, et, éventuellement les transmettre au parquet pour qu'il engage des poursuites.

Ce qui montre bien le coup fatal qu'a reçu cette loi, c'est que la CPD, qui devait être une machine à sanctionner (le ministère avait parlé de 1000 coupures par jour) devient, au contraire, une machine à limiter les plaintes de la justice puisqu'il est expressément dit dans la décision qu'elle aura pour rôle de s'assurer que la justice n'ait pas trop de saisie de plaintes.

«Même le pirate jouit de la liberté d'expression»

Que dit essentiellement la décision ?

_ Elle dit que l'accès à Internet, si ce n'est pas un droit fondamental, devient un accessoire de la liberté d'expression qui, elle, est un droit fondamental. Le Conseil veillera donc à ce qu'on ne porte pas une atteinte disproportionnée à cette liberté. Et il a décidé que, le fait qu'un abonnement qui sert à télécharger illégalement puisse être suspendu, est disproportionné. Car même le pirate jouit de la liberté d'expression.

Ensuite, le mécanisme prévu est lui sanctionné car il violait la présomption d'innocence puisque, sous couvert de sanctionner l'obligation de surveillance de son abonnement, on instituait une présomption de culpabilité de l'abonné.

Quelle est sa portée au niveau de la législation d'Internet ?

_ Le Conseil protège l'accès à Internet comme moyen privilégié d'exercice de la liberté d'expression. Cela veut dire que le législateur ne peut pas faire ce qui lui chante avec Internet.

Il faut rappeler que la loi était mal engagée dès le départ. Elle est issue du rapport de Denis Olivennes, alors que ce dernier était président de la Fnac. Dès le début, elle était atteinte d'une tare congénitale.

Et, plus généralement, sa portée symbolique ?

_ Politiquement, c'est une claque pour le gouvernement. Il a battu au rappel pour voter une loi dont l'essence gêne la constitution. Cette décision donne raison, a posteriori, aux députés socialistes qui s'étaient mobilisés contre la loi au risque de se fâcher avec une partie de leur électorat traditionnel et avec les artistes. Le Conseil a en effet constaté, qu'en faisant ça, ils protégeaient la constitution.

Pourquoi le parti socialiste en tire si peu victoire ?

_ Aujourd'hui, politiquement, il vaut mieux cirer les pompes des artistes que défendre cette loi. Des artistes, qui, ne se rendent pas compte qu'ils sont en train de se mettre leur public à dos. Et je ne connais pas d'industries qui aient résisté à ça.

«Dès le début, la loi était atteinte d'une tare congénitale»

Et maintenant ? Promulgation de la loi, seconde délibération, ou nouvelle loi ?

_ A mon avis, il va y avoir une promulgation de loi pour que l'Hadopi soit créée. Puis il y aura une proposition de loi, ce qui évite d'avoir à passer devant le Conseil d'Etat et de fournir une étude d'impact [ce qu'oblige le dépôt de tout nouveau projet de loi depuis la réforme de la constitution ndlr]. Ils devront juste trouver quelqu'un pour la porter. Au pif Estrosi ou Lefebvre.

Et si le gouvernement remplace la coupure par une amende...

_ Le Conseil l'avait déjà censuré lors de la DAVDSI pour rupture de légalité devant la loi. Ils avaient essayé de faire passer une amende à 38 euros par téléchargement. Le conseil avait estimé que le téléchargement illégal est de la contre-façon. Et qu'il n'y avait pas de raison de mieux traiter quelqu'un qui télécharge illégalement que quelqu'un qui copie un DVD sur son ordinateur. La seule option serait que l'amende se porte sur le constat de non-sécurisation de la ligne, et donc sur le défaut de surveillance. Et encore, du coup, cela relèverait de la compétence de la juridiction de proximité.

Le gouvernement a parlé de la création de tribunaux de grande instance spécialisés en propriété littéraire et artistique. Qu'est-ce que cela vous évoque ?

_ Ca m'évoque qu'il va falloir augmenter le budget de la justice. Or ça fait longtemps que le gouvernement ne veut pas, car une justice engorgée ça lui convient très bien. Donc ça ne me paraît pas possible.

Une conclusion personnelle ?

_ C'est humiliant pour le gouvernement. Voir l'aveuglement du gouvernement malgré les signaux, et comment Nicolas Sarkozy a mis tout son poids. Le président est pourtant pragmatique, mais parfois il s'obstine jusqu'à percuter le mur. Ici, jusqu'à ce que le Conseil Constitutionnel lui montre. Et à lire les réactions de Jean-François Copé et de Frédéric Lefebvre, ils persistent. «Nous serons ridicules autant de fois qu'il le faudra mais on aura cette loi» .

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