Vous aussi, numérisez un lobbyiste

par Sophie Gindensperger
publié le 5 août 2010 à 17h57

Exercer sa vigilance citoyenne est désormais à portée de clic de tout internaute. Depuis hier, le collectif Regards citoyens a mis en place une vaste opération de «crowdsourcing», afin d'identifier et surtout de cartographier les lobbyistes qui œuvrent à l'Assemblée nationale. En clair ici, utiliser les capacités (et la tendance à procrastiner?) d'un grand nombre d'internautes pour abattre une tâche à première vue fastidieuse.

En septembre dernier, le collectif avait déjà lancé le site nosdeputes.fr , qui donne aux internautes des outils en ligne pour suivre très facilement l'activité de leur député, ou encore commenter les textes de loi, amendement par amendement. Aujourd'hui, ces «geeks citoyens», comme ils s'appellent eux-mêmes, ont décidé de se pencher sur un autre aspect de la vie parlementaire, celui des lobbies. Et pour ça, leur arme est toujours la même: la base de données.

«L'idée s'est concrétisée lors d'une rencontre avec des responsables de Transparence International France. Forts de leur expertise sur la question, nous avons décidé de nous associer pour mener une étude à partir des données publiquement accessibles : les rapports parlementaires» , explique le collectif. Transparence International France est une organisation qui défend la transparence et l'intégrité de la vie publique et économique. Ensemble, ils ont décidé de s'intéresser à ceux qui bénéficient de l'attention des députés lorsque ceux-ci préparent les textes de loi. Ces personnes sont-elles plutôt issues d'associations, d'entreprises, sont-elles en majorité des hommes, des femmes ? Le but de l'opération est d'établir une étude statistique la plus fine possible de ces données.

Pour cela, l'ensemble des documents et des rapports d'auditions parlementaires de la législature en cours (depuis juin 2007) ont été numérisés, ce qui donne environ 18 000 noms. Mais numérisation ne veut pas dire classement, et il s'agit maintenant de catégoriser toutes ces personnes par sexe, fonction et employeur (institution, syndicat, entreprise, etc...). C'est là que les internautes entrent en jeu.

Le collectif a en effet lancé hier une page internet sur laquelle sont invités à se rendre ceux qui souhaitent contribuer au projet. Là, ils trouveront un extrait de rapport parlementaire, dans lequel un nom est encadré en rouge. En-dessous se trouve un formulaire où l'internaute devra renseigner, pour cette personne, les informations qu'ils trouvera dans l'extrait (fonction, institution), ainsi que le sexe de la personne (en fonction, cette fois, du prénom).

Rien d'inhabituel dans les personnes rencontrées: on peut donc tomber sur «M. Pascal Lagarde, directeur général de CDC Entreprises», ou «M. Jean Mafart, chef du pôle juridique du cabinet du directeur général au Ministère de l'Intérieur, de l'Outre-Mer et des collectivités territoriales».

Evidemment, il y a quelques bugs. Parfois, l'extrait ne contient pas les renseignements demandés. «Mieux vaut alors passer à la proposition suivante» , conseille Tangui Morlier, l'un des fondateurs du collectif. «Il arrive aussi que la machine prenne des noms qui ne désignent pas une personne, par exemple s'il s'agit du directeur de l'Institut Jean Moulin» , ajoute-t-il. L'internaute doit alors cocher la case «Cette personne n'a pas été auditionnée» , afin de l'éliminer de la base. Mais personne n'est à l'abri d'une erreur, et pour les limiter, chaque occurrence sera présentée en tout trois fois, et les résultats ensuite rapprochés.

La méthode n'est pas tout à fait nouvelle. Elle a déjà été utilisée sur le Net, notamment par le projet " REcaptcha ". Le captcha, ce sont ces lettres bizarrement inclinées que vous demandent certains sites internet lorsque vous souhaitez contribuer, afin de vérifier que vous n'êtes pas un robot. REcaptcha ajoute à ce système des mots issus du processus de numérisation de livres et pour lesquels les systèmes de reconnaissance optique de caractères ont échoué. La société a d'ailleurs été rachetée par Google .

Reste un problème: le lobbying ne se manifeste pas seulement publiquement, à travers des auditions en commission dont on peut retracer les archives. Les coups de fils et les déjeuners informels sont toute une partie de l'activité qui n'est pas quantifiable. «Nous, on ne s'intéresse qu'aux informations publiques, celles qu'on peut analyser. Le reste est plus du ressort de l'enquête journalistique...» , répond Tangui Morlier, qui reste prudent sur l'issue du projet et reconnaît que ça pourrait peut-être «ne rien donner» .

Jusque là en tout cas, les fourmis de clavier ont bien travaillé : depuis hier, 13% déjà des donnée sont été traitées. «232 personnes ont contribué, parmi lesquelles 10 personnes ont traité plus de 100 noms» , indique-t-il. «Si on continue comme ça, dans 25 jours on a fini» .

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