Les internautes font frémir le monde de la sismologie

par Sylvestre Huet
publié le 24 janvier 2012 à 14h45

«Les projets de sciences citoyennes peuvent transformer la science des tremblements de terre.» Projet fumeux d'un internaute anonyme ou d'un opposant à la «science officielle» ? Non, ce propos provient d'un article paru vendredi dans la revue Science , l'une des plus lues par les chercheurs.

Richard Allen, du laboratoire sismologique de l’université de Berkeley (Californie), y salue l’entrée en scène d’une nouvelle manière de faire de la sismologie d’urgence, celle qui s’occupe des séismes comme facteurs de catastrophes humaines. Elle met en jeu les «témoins» directs et immédiats d’un séisme, explique Rémy Bossu, du Centre sismologique euro-méditerranéen (CSEM).

Ce centre, conçu en 1975 pour fusionner les observations sismiques des réseaux nationaux entre Islande et péninsule arabique en passant par l'Afrique du Nord, a mis en place en 2004 un site grand public . Au début, il s'agissait «d'informer le public sur la survenue d'un séisme» , précise Rémy Bossu, puis de lui demander de retourner des informations sous la forme de questionnaires -- en 32 langues -- et de photos s'il est le témoin d'un séisme. Le site américain de l'USGS (US Geological Survey) avait déjà lancé ce type d'opération.

Les géophysiciens avaient sous-estimé le potentiel de cette décision. Ils s'en sont rendu compte lorsque le serveur est tombé en rade à chaque gros séisme, sous l'afflux de demandes. Lorsque les gens ressentent un séisme, ils se ruent sur Internet pour trouver l'explication de la secousse. Avec près de 2 millions de connexions par mois dans le monde entier, le CSEM voit confluer en quelques dizaines de secondes un grand nombre de témoins sur son site. «Il suffit alors de cartographier l'origine géographique des témoins avec l'adresse IP de leur ordinateur pour cartographier la zone où le séisme a été ressenti» , explique Rémy Bossu.

D'où l'idée : transformer le public en un formidable «outil sismologique» . Avec une rapidité étonnante : «La détection automatique via la simple surveillance du trafic de notre site survient en moyenne dans les quatre-vingt-dix secondes qui suivent le séisme. Pour 95% des séismes détectés, elle est plus rapide que les réseaux de surveillance.»

En outre, les réseaux sismiques localisent l’épicentre du séisme, mais pas nécessairement la zone de dégâts. Un séisme en mer aura un épicentre assez éloigné de la zone de dégâts sur la côte. Ce nouvel outil est donc bien adapté pour détecter et localiser les séismes, non en termes de puissance intrinsèque, mais de dégâts pour les personnes et les infrastructures. Important dans des pays comme la France qui sont menacés par des séismes modérés.

Les géophysiciens sont parvenus à montrer, sur un séisme survenu en Virginie et avec les seules données du CSEM, qu'il était possible de localiser à 30 kilomètres près la zone épicentrale d'un séisme, deux minutes seulement après sa survenue. Comment ? «Les témoins réagissent au passage des ondes P et on voit la propagation des ondes. C'est-à-dire que la différence de temps d'arrivée sur notre site entre un témoin à proximité de l'épicentre et un témoin à plus grande distance est égale à la différence de temps d'arrivée des ondes sur ces 2 sites !» expose Remy Bossu. Une démonstration réalisée avec le site du CSEM, car les géophysiciens américains ne sont pas encore autorisés à relever l'adresse IP des ordinateurs des internautes.

Les géophysiciens ont aussi démontré qu'ils pouvaient mesurer les dégâts au travers des fermetures de sessions ouvertes sur leur site -- mesurées toutes les 30 secondes -- engendrées instantanément dans les régions impactées. En mesurant la proportion de connexions issues de smartphones et celles d'ordinateurs fixes sur une zone, cela donne même une idée de la «panique dans la zone touchée» : les témoins sont-ils sortis des bâtiments juste après la secousse ?

Mais on peut aussi compter le nombre de fois où sort le mot «earthquake» sur les flux de tweets, en localisant les émetteurs des messages. D’autres idées, comme celle d’utiliser les micro-accéléromètres des ordinateurs, sont en cours de tests.

Paru dans Libération du 23 janvier 2012

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