LeWeb'11, ce pays où la crise n'existe pas

par Sophian Fanen
publié le 7 décembre 2011 à 14h54
(mis à jour le 7 décembre 2011 à 18h42)

On est venu à LeWeb'11 (l'attachée de presse a dit qu'il fallait mettre un « le ») en pirate. Pas d'accréditation négociée en amont : il faut donc trouver la faille pour entrer, au milieu des agents de sécurité plus ou moins souriants et aidants envers les visiteurs non-badgés, l'équivalent ici des intouchables en Inde. Une fois le précieux badge autour du cou ( «provisoire» tout de même, pas moyen de revenir demain profiter des cafés gratuits), on peut enfin aller profiter de l'ambiance studieuse du lieu.

Avec tout ça, on a raté le début de « la plénière », ou plutôt « the plenary» comme dit Loïc Le Meur. L'entrepreneur français, exilé aux États-Unis, a créé ce grand raout surconnecté en 2004 afin de rassembler les grands acteurs mondiaux du secteur, et montrer aux Français qu'il parle bien anglais (avec un sérieux french accent tout de même). Désormais, LeWeb est une grosse affaire : on vient y parler «B to B» en se montrant des choses sur un iPad, et tout ça génère beaucoup de chiffres .

Karl Lagerfeld et Loïc Le Meur se cachent dans cette image. CC BY SA Sophian Fanen

On n'a donc pas vu les trois danseurs de breakdance qui ont un peu désespéré Twitter en ouverture (puisque Loïc Le Meur, après avoir débarqué déguisé en Angry Bird l'an dernier, a renoncé à smurfer, le petit joueur). On a également appris via Twitter, et même en grec , que Karl Lagerfeld, invité de la première chat session, est un «paper freak» même s'il a quatre iPhone et un iPad parce qu'il « trouve ça pratique » . Puis que «pirater est un crime» et qu'il faut « acheter » la culture que l'on consomme. Dix minutes et un café gratuit plus tard, on arrive enfin à se hisser jusqu'à cette plenary , où le même Lagerfeld, qui brille un peu sous les lumières clinquantes, explique « qu'il n'y a pas de règles, que vous devez inventer vos propres règles » . Il faudrait savoir Karl: on fait comme on veut ou pas ?

CC BY SA Sophian Fanen

Plutôt que de s'endormir assis sur un siège trop mou, on part faire un tour dans les stands. Il y a là une voiture connectée, une table connectée, et du café toujours gratuit (mais pas connecté, bouuuh, losers !). Pas grand-chose à se mettre sous la dent, jusqu'à ce qu'une hôtesse du stand Google, dont le big boss est attendu on stage cet après-midi (en plus d'être en interview dans le Libé du jour), nous alpague pour nous demander: «Do you know Google+?» À ce moment précis, les trois cafés gratuits sont remontés pour nous pousser à fuir une démonstration de cet engin de mort. On préfère battre en retraite d'un air affairé vers la première porte croisée, qui ouvre sur un escalier menant vers «le Camping».

On est là dans le off de LeWeb (appelons-le LeOff, y'a pas de raison). On y est accueilli par une jeune fille nous offrant un collier de fleurs en plastique, qui fait oublier un instant qu'on est au bord du périphérique dans un centre de conférences un rien sordide. C'est le territoire du Camping, un incubateur de start-ups créé au début de l'année par Silicon Sentier, une association parisienne d'accompagnement de projets web. « Le Camping organise deux fois par an une sélection qui aboutit à l'accompagnement de douze projets, explique Elise Nebout, la « news manager » de l'opération. Nous sommes dans la seconde session de l'année, et les équipes viennent présenter leurs concepts aux investisseurs présents au Web. Le Camping les aide à monter leur dossier de financement, leur levée de fonds ou à améliorer leurs relations presse.» Mais monter une entreprise, web ou pas, en 2011, c'est éminement casse-gueule, non ? Et la crise alors ? «Il y a dans ces projets une énorme énergie humaine, continue Elise Nebout. Une forme d'optimisme qui tranche sûrement avec le reste de la société française. Mais les chiffres sont là : après la première session qui s'est tenue en début d'année, la moitié des start-ups ont levé des fonds et une seule a totalement disparu.»

Au Camping, il y a aussi des animaux. CC BY SA Sophian Fanen

Dans les travées encombrées du Camping, le discours est partout identique, là où on s'attendait à trouver un peu de fébrilité. Il faut croire que la crise touche moins la création online . On trouve là Qunb, une boîte qui travaille sur un portail capable d'agréger et de croiser dans des graphiques «plus de 200 milliards de données publiques» , désormais librement mises à disposition par des collectivités ou des États (on en parlait ici pour la France en début de semaine). À côté, WeCook exploite également des données disponibles en ligne, en l'occurrence sur des sites de recettes culinaires, pour proposer un menu jour par jour selon vos habitudes. Là aussi, la crise ne semble pas être passée par là. «Il y a cinq ans, je pense qu'il y avait plus d'argent pour les start-ups parce qu'il y avait moins de boîtes , commente Matthieu Vincent, cofondateur de WeCook, qui est déjà disponible en version bêta. Nous, nous avons eu la chance de plaire à un fonds d'investissement. Mais clairement nos parents auraient préféré qu'on trouve un boulot d'ingénieurs plutôt que de se lancer dans cette idée.»

Une caractéristique rassemble pas mal des jeunes entreprises réunies par le Camping: l'astuce et la légèreté de leurs choix techniques. Qunb agrège des données déjà disponibles, WeCook croise des recettes existantes en ligne, et Infinit reprend la bonne vieille idée du torrent pour proposer à ses utilisateurs de stocker leurs données personnelles (photo, son, vidéo) non pas dans le cloud , mais en mutualisant la mémoire de tous leurs appareils connectés et ceux de leur cercle proche. «Du coup, Infinit n'a pas besoin de coûteux serveurs pour exister , selon Baptiste Fradin. Les fournisseurs d'accès sont déjà très intéressés par ce concept, et nous pensons le lancer auprès du grand public fin 2012. On est plutôt sereins, il faut de toute façon être un peu foufou pour oser se lancer. Mais aujourd'hui, on peut créer quelque chose de global avec peu d'argent. On avance sans se poser de questions. C'est comme lorsqu'on ne regarde plus la télé : la crise n'existe plus.»

Mise à jour, 18h :

Laissez-moi manger ma banane. CC BY SA Sophian Fanen

C'est l'après-midi et déjà LeWeb'11 semble s'être un peu endormi, affalé dans la routine qui sera la sienne pendant deux jours encore. Les hôtes et hôtesses s'ennuient un peu sur les stands, certains tentant même d'appâter le chaland en offrant des sucreries ou un mini Télécran. Dehors, sous une pluie intermittente, quelques valeureux essaient des véhicules bizarres, mi scooter mi voiture sans permis. Il fait froid dans certaines parties du hall et les buffets gargantuesques offerts tous les deux mètres entre midi et deux semblent avoir été razziés par les Huns et les Vikings réunis. Ce qui ne nous dit pas ce que vient faire là ce garçon déguisé en banane.

Alors on erre dans les trois halls du salon à la recherche d'un peu de matière. On croise un garçon allemand qui tente de nous vendre une application qui peut réunir sur une même page toutes les activités de nos collègues en temps réel (mouais), puis un logiciel pour apprendre à faire un massage cardiaque sur une télé en 3D. On ne sait jamais, ça peut servir avant la fin de l'après-midi. Un stand sur trois propose de balancer notre vie dans un nuage de données ou de se connecter encore mieux à nos connaissances online... Il y a aussi dans une allée cet autre jeune homme conversant avec un robot qui malheureusement ne s'appelle pas Johnny 5. LeWeb'11 ressemble parfois à la Foire de Paris.

Le robot reporter de France Télévisions. CC BY SA Sophian Fanen

On finit par se dire que le salut viendra peut-être de la plenary session , où se succèdent depuis le début de l'après-midi les représentants de quelques gros noms du web actuel. Eric Schmidt, PDG de Google, puis Joanna Shields, la vice-présidente de Facebook et boss pour l'Europe, l'Afrique et le Moyen-Orient, qui se contente d'annoncer que le réseau social va désormais permettre d'installer son subscribe button sur n'importe quel site. Ce qui ne nous fera pas l'après-midi.

Puis Axel Dauchez, PDG du site de streaming musical Deezer, arrive avec du lourd : «Deezer a décidé de devenir mondial, à l'exception des États-Unis et du Japon. D'ici juin 2012, nous allons arriver dans le monde entier en nous appuyant sur des opérateurs, en commençant par l'Europe de l'Ouest, pluis l'Europe de l'Est, la Russie, etc. 90% du business de la musique dans le monde se fait hors des États-Unis et nous pensons que ce marché a été trop surévalué. […] Dans cinq ans, le marché de la musique sera plus gros qu'il ne l'était en 2000. Et sa géographie aura totalement été revue.» Un débarquement tous azimuts qui semble toutefois risqué, vu les multiples différences économiques, commerciales et musicales des quelque 200 pays visés par le site français.

Quoi qu'il en soit LeWeb, qui se contentait jusqu'ici d'être un pince-fesse connecté, semble vouloir être désormais le lieu d'annonces à l'impact industriel et culturel conséquent. Ce qui permettra peut-être enfin aux organisateurs de justifier le faramineux prix (2300 euros) demandé aux professionnels qui prennent part à LeWeb' avec l'espoir d'y dénicher un investisseur ou un partenaire industriel.

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