Le X exfiltré du Web tunisien?

par Elodie Auffray
publié le 16 février 2012 à 10h29

C’était l’instrument de la censure politique sous Ben Ali. L’Agence tunisienne d’Internet (ATI), l’entreprise semi-publique qui joue le rôle de grossiste pour les fournisseurs d’accès, risque de reprendre du service… pour bloquer les sites pornographiques. La Cour de cassation doit se prononcer ce mercredi sur l’affaire. L’ATI, désormais dirigée par un jeune PDG qui défend la neutralité du Net, a déjà perdu la partie en première instance et en appel.

La bataille a commencé au printemps, lorsque trois avocats ont assigné l'agence en justice pour qu'elle rétablisse le filtrage du porno. Déjà en cours sous Ben Ali, il a été levé, comme toute autre forme de censure, trois semaines après le départ du Président. «Le code pénal interdit l'incitation à la débauche et la diffusion d'images à caractère pornographique» , fait aujourd'hui valoir Me Moneem Turki, qui prend pour principal argument «la protection des enfants» , ainsi que le respect des «valeurs arabo-musulmanes» . «La liberté d'expression a aussi ses limites en France : l'apologie de Hitler, le négationnisme» , poursuit-il. Quoi de mieux, alors, que de passer par l'ATI, qui «a déjà fait ses preuves» en tant que «champion de la censure pendant des années» ?

Moneem Turki est l'un de ces avocats proches des islamistes qui attaquent tous azimuts depuis un an : lui a initié la procédure contre la cinéaste Nadia El Fani, pour son film Ni Allah ni maître . Il fait aussi partie de la centaine d'avocats qui se sont portés partie civile contre la chaîne Nessma, poursuivie après la diffusion de Persépolis , où figure une représentation de Dieu -- ce que proscrit l'islam.

Côté ATI, le PDG post-révolutionnaire et un peu geek, Moez Chakchouk, refuse de tomber dans le piège de l'idéologie. D'ailleurs, lui aussi est «contre ces contenus» , tient-il à préciser. Le jeune patron -- 36 ans et déjà une longue carrière dans les hautes sphères des télécoms publiques -- «défend une entreprise» . Ses arguments sont économiques : la censure coûte cher (2 à 2,5 millions de dinars par an en moyenne, soit entre 1 et 1,2 million d'euros), et l'ATI «n'a plus les moyens» . Elle risque de dégrader la qualité de la connexion. Et elle est inefficace, les Tunisiens ayant pris l'habitude de la contourner. La solution, selon lui : des solutions de filtrage proposées par les fournisseurs d'accès à leurs clients. Ce qui éviterait tout «retour en arrière par rapport à une censure globale» . Reporters sans frontières craint de son côté que le filtrage «puisse ensuite être étendu à d'autres types de contenus» .

Paru dans Libération du 15 février 2012

De notre correspondante à Tunis

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