Lagueuledelemploi.net : «Je ne vois des victimes que d'un côté de la table»

par Isabelle Hanne
publié le 14 octobre 2011 à 8h56

Il y a une semaine, le 6 octobre, France 2 diffusait La Gueule de l'emploi un documentaire, très commenté depuis, sur les méthodes d'un cabinet de recrutement opérant pour la société d'assurance GAN. Le documentaire, réalisé par Didier Cros, suit dix postulants à un emploi de «conseiller assurance» payé au SMIC. Nombreux ont été les téléspectateurs choqués par les méthodes humiliantes utilisées par les recruteurs, qui s'en sont indignés sur internet. Mais la réaction la plus vive date de jeudi, avec la mise en ligne du site lagueuledelemploi.net , qui liste carrément les adresses et numéros de téléphone professionnels et personnels des recruteurs qui apparaissaient dans le documentaire. «Nous pensons que ces personnes doivent avoir affaire à l'indignation qu'elles suscitent, dans la vraie vie, peut-on lire sur le site en grosses lettres. Nous pensons que des gens qui habitent le même quartier que ces personnes doivent être en mesure de leur dire leurs quatre vérités, en face.»

Le site lagueuledelemploi.net ne fait pas franchement consensus, notamment auprès du réalisateur du docu lui-même, Didier Cros, , qui juge l'initiative «dommageable et grave». Les avocats de Gan, eux, ont mis en demeure le créateur du site, Baptiste Fluzin, pour qu'il retire les informations personnelles et les photos présentes sur le site. Le jeune homme, directeur artistique dans la pub, a répondu à nos questions par mail, n'ayant pas souhaité le faire téléphone.

Qu'est-ce qui vous a motivé à faire ce site? Ca n'empêche évidemment pas de s'indigner, mais ces humiliations systématisées lors d'entretiens d'embauche ne sont pas nouvelles…

_ La rage sourde que j'ai ressentie quand j'ai vu ce documentaire m'a motivé à créer le site lagueuledelemploi.net. Je voulais que pour une fois, la croisade naissante qui se profilait sur Internet ne se limite pas à un déluge de tweets et de commentaires laissés sous des articles et qui de toutes façons, n'auraient jamais atteint les personnes incriminées. Je sais que ces méthodes ne sont pas nouvelles. Faut-il attendre que quelque chose soit estampillé «nouveau» pour s'indigner ?

Par quels moyens avez-vous trouvé les coordonnées des recruteurs?

_ J'ai trouvé toutes les coordonnées en utilisant leurs prénom + nom + intitulés de postes, qui sont affichés en clair tout au long du reportage, sur un ensemble de sites (Google avec des requêtes avancées, recherches de PDF, Viadéo, Facebook, pages-blanches). Pour certains ça a été très facile, pour d'autres un peu moins. J'ai mis un point d'honneur à ne pas cibler d'homonymes par erreur. Pour madame Garnier par exemple, j'avais commencé à établir différent profils, je pensais tenir le bon et au dernier moment je me suis rendu compte que je faisais erreur, j'ai préféré ne rien diffuser.

Ces attaques personnelles en valent-elles vraiment la peine? Vous vous attaquez à des individus au lieu de vous attaquer à un système, ces individus eux-mêmes pouvant être victimes de ce même système…

_ C'est selon moi le point le plus important et le point de désaccord majeur qui subsiste si j'en crois la grande partie des réactions suscitées. Nous vivons à une époque où il n'y a plus d'individus responsables, tout du moins chez les puissants. La crise Grecque ? C'est la faute aux «marchés» qui sont en perte de confiance, qui ont peur, qui sont nerveux. On rend vivantes et responsables des entités qui n'existent pourtant qu'au travers des individus qui les composent. J'aurais donc dû attaquer le système. Vaste programme... Quant à l'idée que ces individus soient victimes de ce système, c'est une blague ? Regardez le reportage encore une fois, je ne vois des victimes que d'un côté de la table et ce n'est pas celui dont vous parlez. Si cette affaire va plus loin, je plaiderai l'irresponsabilité, il faudra attaquer l'Internet et pas Baptiste Fluzin. Non, je déconne. MOI j'assume en mon nom ce que je fais.

Affiches ou flyers avec le visage des recruteurs: quel est l'intérêt? Est-ce vraiment utile de répondre à l'humiliation par l'humiliation?

_ Je souhaite éclaircir ce point. Je me suis demandé comment faire en sorte que les recruteurs soient confrontés à des avis vis-à-vis de leur comportement. Alors quoi, aller faire le camping devant chez eux, les prendre au saut du lit et leur dire «bonjour, vous ne me connaissez pas, mais je vous ai vu à la télé, vous me donnez la nausée !»? Pas convaincant. Non, ce dont j'avais envie, c'était que le boulanger du quartier, que des parents d'élèves, des voisins, des commerçants qui croisent régulièrement ces personnes soient confrontées au documentaire, car je pense que ce sont ces personnes qui seront à même d'adresser des critiques intéressantes et surtout qui seront reçues par les personnes concernées. Si quelqu'un décide d'aller leur casser la gueule, en revanche, bien sûr je le regrette. Mais qui faut-il blâmer en premier lieu ? Celui qui a rassemblé les adresses des personnes qui sont publiques sur Internet, ou bien ces mêmes personnes qui ont donné durant 1h30 toutes les raisons à quelqu'un d'aller leur casser le bout du nez ? Là encore, je suis prêt à prendre mes responsabilités, mais n'inversons pas tout. Les recruteurs seraient des pions, des victimes du système et moi je serais le grand méchant Internaute qui les cloue au pilori ? Un peu simpliste.

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