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Libération

La télé s’arrime au Net

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 19 avril 2010 à 8h10

Dans les travées du Marché international des programmes télé ( Mip TV ) à Cannes, entre imprudente businesswoman perchée sur des Louboutin de douze centimètres et utopiste vendeur d'émissions ( «Ici c'est un marché, mais moi je parle à l'âme des gens» ), on entend des mots exotiques. «Transmedia storytelling» ; «Alexandre Bompard» ; «Content 360» ; «Alexandre Bompard»; «cross-media content» . Bon, si on exclut Bompard le-futur-ex-président-de-France-Télévisions-enfin-peut-être-c'est-certain-ou-pas, on tient l'autre sujet du Mip : la télé qui se pique d'Internet. Certes, ça fait bien dix ans que la lucarne lorgne le Web, mais aujourd'hui on assiste à une généralisation des modes de production vers tous les supports, tandis que l'engouement du petit écran pour les réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter atteint son paroxysme. Et tout ça, c'est le transmedia machin et le cross-media truc, formant un magnifique content 360. Comme 360 degrés.

D'abord des chiffres, le Mip adore les chiffres : aux Etats-Unis, 60% des téléspectateurs regardent la télé tout en surfant sur Internet. Quand même. Comme l'a expliqué, cette semaine au Mip, Chloe Sladden, directrice des partenariats médias de Twitter, s'adressant aux patrons de chaînes : «Votre public est sur Twitter et il parle de vos programmes.» Comment ? Et les télés n'en tireraient pas profit ? Scandaleux. «La télé est une expérience sociale, a-t-elle poursuivi, mais au lieu de se passer le lendemain à la machine à café, elle se passe aujourd'hui en direct sur Twitter.» Il est vrai que l'un des sports favoris sur Twitter est de dauber sur les programmes télé et ça fait des envieux. Mardi au Mip TV a ainsi été lancé Starling, le premier réseau social de télé. Il s'agit de se trouver des amis par affinités cathodiques et de discuter du dernier épisode de Lost pendant sa diffusion. Kevin Slavin, le créateur de Starling, parle d' «un pont entre la télé traditionnelle et les réseaux sociaux» .

Du côté des télés, on commence à reprendre la main, en intégrant Twitter dans les programmes comme la dernière cérémonie des Vidéo music awards (VMA) sur MTV aux Etats-Unis, qui montrait en direct quels étaient les sujets des VMA les plus populaires sur Twitter. Ou la diffusion de tweets en direct sur Current TV ou la consultation des utilisateurs de Twitter pour des sondages express sur CNN. Pour Philip O'Ferrall, de MTV, «Facebook et Twitter vont rendre enfin réelle l'interactivité.» Mieux, juge Kevin Slavin, «ce ne sont plus dix millions de personnes qui regardent seules le même programme mais dix millions de personnes qui le regardent ensemble.» C'est beau.

Et puis il y a les émissions qui moulinent du Web à la télé. Bêtement, comme l'italienne Twision où deux types discutent de ce qui fait le ramdam sur Twitter. Ou celles qui adaptent. Ainsi, Married on Myspace , produit par Endemol pour le Web, qui proposait aux internautes de décider du moindre détail de la cérémonie de mariage d'un couple, est devenu une émission de télé avec le même principe, faisant cette fois participer les téléspectateurs. Ou encore Purepwnage , une série de faux documentaires sur un gamer canadien, qui, depuis mars, s'est transformée en série télé. S'attirant au passage les foudres des fans de la version en ligne traitant les créateurs de «vendus» .

Vendus, on ne sait pas, mais les auteurs de séries télé ont compris depuis longtemps qu'il fallait être sur tous les supports possibles. Tim Kring, le créateur de la série Heroes a ainsi expliqué lundi à Cannes : «Nous avons eu de la chance que la chaîne NBC ait la volonté d'être présente dans la sphère digitale, du coup elle nous a donné un super bac à sable dans lequel jouer.» Et du bac à sable sont sortis tout un tas de produits dérivés numériques de la série originale : webisodes, BD sur le web etc. Chacun amenant, non pas une simple transposition de la version télé sur un autre support, mais des aspects nouveaux de la narration. C'est ça le transmedia storytelling.

Et ça n'est pas réservé aux jeunistes amateurs de super héros ; Pour fêter les 25 ans de son vieux soap quotidien Eastenders , une façon de Plus belle la vie londonienne, la BBC a lancé sur le Web E20 , une série dérivée de sa glorieuse aînée où les rôles sont tenus par de jeunes acteurs et les scénarios écrits pas de jeunes auteurs, 22 ans maximum. Une fois qu'ils auront fait leurs armes sur le Web, ils pourront aller à la télé. Chez les grands.

Paru dans Libération du 15/04/2010

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