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Libération
Critique

L’armée secrète de «l’Archipel du goulag»

Docu. Public Sénat revient sur l’épopée de l’ouvrage de Soljenitsyne, publié grâce à des collaborateurs «invisibles» qui ont joué leur vie.
par Véronique Soulé
publié le 27 octobre 2008 à 6h51

Elizabeth Voronianskaïa était «au cœur du dispositif» : en secret, elle avait tapé à la machine l'Archipel du goulag d'Alexandre Soljenitsyne et en cachait un exemplaire chez elle. Mais en août 1973, elle est arrêtée par le KGB. Et en décembre, épuisée par les interrogatoires, elle craque. Le KGB met alors la main sur le manuscrit. Trois mois plus tard, on la retrouve pendue chez elle. Elle devait détruire le manuscrit après qu'il eut été microfilmé clandestinement. Elle avait d'ailleurs assuré l'avoir fait, et même en avoir pleuré. Mais elle n'avait pas pu.

Ombre.Voronianskaïa était l'une de ces «invisibles» sans qui la somme de Soljenitsyne, décédé en août, n'aurait jamais pu voir le jour. Ce documentaire est d'abord un hommage à cette armée de l'ombre. Un réseau d'hommes et de femmes, souvent eux-mêmes passés par les camps, a caché, relu, corrigé, complété, vérifié des fragments de l'Archipel du goulag, conscients de participer à une œuvre historique qui deviendrait le témoignage ultime de l'horreur du goulag - à son apogée, il compta 2 750 000 détenus. «Je les remercie infiniment, dit Soljenitsyne dans le film, ils ont tout fait.»

L'arrestation de Voronianskaïa est un tournant : désormais, Soljenitsyne est convaincu qu'il ne peut plus attendre pour publier le livre. De sa campagne, il appelle un journaliste nordique à qui il veut demander d'emporter un exemplaire à Helsinki. «Allo c'est la teinturerie ? Non ce n'est pas la teinturerie ?» demande-t-il. Le journaliste comprend qu'il a rendez-vous le jour même à 20 heures avec l'écrivain. Il s'agissait d'un code.

Missions. Précis et documenté, le film relate l'incroyable épopée que fut l'écriture de ces trois tomes, dont Soljenitsyne commença les plans en 1958 et qui furent publiés en France en 1974. Jean Crépu et Nicolas Miletitch sont allés retrouver les «invisibles» survivants. Soljenitsyne ne sonnait jamais mais frappait à leur porte et ne restait guère plus de dix minutes pour leur donner des missions : relire tel ouvrage, y trouver tel paragraphe, vérifier une citation, etc.

En 1974, un Lituanien, qui a fait vingt-cinq ans de camp, commence à traduire l'Archipel… Mais il est arrêté et refuse de collaborer. Il en reprend pour dix ans. Sans regret aujourd'hui : «Ce n'était pas pour n'importe quel livre.»

L’Histoire secrète de l’Archipel du goulag, documentaire de Jean Crepu et Nicolas Miletitch, Public Sénat, 10 h 30.
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