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Libération

Jouer n'est pas tuer

par Geoffroy Husson
publié le 25 juillet 2011 à 18h05
(mis à jour le 27 juillet 2011 à 11h22)

Anders Behring Breivik était intéressé par « des jeux où le but est de tuer le maximum de personnes en un temps record » . Oui, le 13h de TF1 de samedi dernier parlait bien de Call of Duty: Modern Warfare 2 , un jeu vendu à douze millions d'exemplaires dans le monde. Douze millions de terroristes potentiels ?

A l'exception de la chasse, la presse n'a que peu parlé de ses autres centres d'intérêts comme les films 300 ou Dogville , les séries Caprica et The Shield ou son intérêt pour Winston Churchill. Comme souvent, ce sont les jeux vidéo, ici World of Warcraft ou Modern Warfare 2 , qui sont mis en exergue pour expliquer la personnalité du tueur. Certes, comme le signale Lefigaro.fr , son intérêt pour WoW lui permettait de mieux masquer sa vie privée : « Ce 'projet' va pouvoir justifier le fait que vous vous isoliez, ou que vous ne répondiez plus beaucoup au téléphone. C'est simple, il suffit de dire que vous êtes totalement absorbé par le jeu» . Même si le lien entre les jeux et la tuerie existe, ceux-ci semblent davantage être une couverture pour Anders Behring Breivik, qu'avoir une réelle influence sur son passage à l'acte. D'après Olivier Mauco , ingénieur d'étude au CNRS travaillant actuellement à une thèse sur L'idéologie des jeux vidéo : politiques publiques, analyse de contenu et réception , « c'est toute une tradition d'accuser les jeux vidéo comme facteur de violence. Mais avec une évolution : ils sont simplement mentionnés comme une pratique ordinaire avec un sous entendu de causalité. Les gens ont besoin d'expliquer ce qu'ils ne comprennent pas, du coup, il faut faire passer l'acte de folie à une véritable suite de causalité » .

Une pratique qui n'est pas sans en rappeler d'autres, un peu plus anciennes : dès la tuerie de Columbine, en 1999, les regards s'étaient précipités sur Marylin Manson, en raison de l'intérêt d'Eric Harris et Dylan Klebold pour sa musique. Quatre ans plus tard, quand Gus Van Sant s'inspirera du drame pour réaliser Elephant , il ne pourra s'empêcher d'expliquer cet enclin pour la violence par... les jeux de tir en vue subjective. Le film Scream a, lui aussi, été à l'origine de nombreuses controverses sur son influence dans plusieurs tueries en France, en 2000, 2001 et 2002. Toutefois, toujours d'après Olivier Mauco, « les jeux vidéo n'ont pas tendance à créer une identification plus forte aux personnages. Quant aux scénarios, ils reprennent un traitement proche de la télévision ou du cinéma » .

Malgré les différences majeures entre toutes les études, plus ou moins objectives, réalisées jusqu'à présent sur les conséquences des jeux violents, quelques résultats semblent ressortir : « elles démontrent surtout une agressivité et une excitation à très court terme, c'est à dire jusqu'à 15 minutes après la session de jeu, particulièrement pour les jeux compétitifs. Néanmoins, aucune ne prouve qu'on puisse passer à l'acte à cause des jeux vidéo seuls, bien qu'il y ait une tendance aux jeux violents auprès des personnes agressives » , détaille le chercheur.

Néanmoins, le profil psychologique et politique de l'accusé soulève irrémédiablement la question du rôle de Modern Warfare 2 dans son attentat : Dave Grossman, en 1999, développait la thèse selon laquelle les jeux vidéo, et particulièrement le serious gaming, pouvait parfois servir à des fins d'entrainement, dans certaines situations, une thèse reprise dans l' éditorial du Monde de mardi. Modern Warfare 2 comme préparation au massacre ? Certainement pas : « avoir une gâchette c'est bien mais ce n'est pas un vrai simulateur. On est a des années lumières de différence entre l'arme et la manette. L'argument selon lequel les médias pousseraient à une désensibilisation à l'acte criminel et à une confusion du réel et du virtuel existait déjà au sujet de la télévision dans les années 80. Aucune étude rigoureuse ne le prouve » .

Et si finalement on était, encore une fois, face à une incompréhension entre deux cultures, entre deux générations ? « Tout ceci pose la question du scepticisme culturel dès l'apparition d'une nouvelle technologie. Ça ne peut être que quelque chose de mauvais pour les politiques : une pratique populaire n'est, par définition, pas digne et le jeu aliène, il n'est pas raisonnable » .

MAJ 21/07/11 : Olivier Mauco, interrogé dans l'article développe davantage sa thèse sur la relation entre la violence et les jeux vidéo dans un billet publié sur son blog : « autre point de rectification, sur écrans.fr il apparaît que j'annonce qu'il n'y a pas d'identification entre un joueur et un personnage de jeu vidéo. C'est un raccourci très fort. La nuance est donc de mise. Les liens entre un joueur et son avatar sont pluriels et très complexes. Un premier point est de saisir la construction de l'identité en ligne, notamment comme travail de négociation entre les attentes de l'individu et la nature du dispositif socio-technique que peut être un MMO. J'ai développé cela dans un chapitre d'ouvrage en anglais accessible ici mais aussi ici .

Dans la conversation, je précisais que la dimension ludique pouvait créer de la distance au discours tenu dans le jeu. C'est à dire que la relation concurrentielle et sous le règne de l'action interactive entre le joueur et le système de jeu, fait qu'un joueur est un joueur et non un simple spectateur. Ainsi, il est apparu dans des entretiens que j'ai pu mener auprès de joueurs qu'il pouvait y avoir une interprétation radicalement opposée selon que le joueur accorde de l'importance à la dimension ludo-mécanique ou au contraire narrative-visuelle. Y en a qui réduisent le jeu vidéo à un amas de pixels à manipuler de manière performante, alors que d'autres s'intéressent aux univers de fiction. Le jeu vidéo est les deux à la fois. »

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