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«Gerridae» (1/5) : Un nouveau jeu est appelé araignée

Onze étudiants lyonnais ont eu trois mois pour réaliser leur projet de fin d'études : un jeu nommé «Gerridae». Nous les avons suivis.
par Virginie Malbos
publié le 16 août 2010 à 18h44
(mis à jour le 19 août 2010 à 16h20)

Passer quelques heures en automne, cela a son charme. Cette révélation de dernière minute n'est pas vraiment due à la météo du week-end, mais plutôt à un jeu, rendant philosophe sur les chutes de feuilles rousses. Son nom? Gerridae . «Gerriquoi?» Oui, nous aussi cela nous a fait cet effet. Mais à force on s'habitue. Gerridae donc, un jeu qui met en scène une petite araignée d'eau, aussi appelée gerridé, et appartenant à la famille des gerridae. Et puisqu'on en est aux explications...

Gerridae , c'est l'histoire d'une araignée d'eau bien décidée à rejoindre la mer. Mais le voyage n'est pas sans encombres, et pour libérer le passage elle devra résoudre des puzzles et affronter d'autres insectes et animaux. En tout cinq niveaux alternent phases d'action avec des combats et de réflexion avec des puzzles. Dans les deux cas, le joueur devra user d'ondes pour s'en sortir. A sa disposition : les ondes directes, de faible puissance pour pousser des objets mais efficaces contre les ennemis, et les ondes rayonnantes, qui tiennent les intrus à distance et peuvent se combiner pour pousser de gros objets. Ainsi, l'araignée d'eau pourra utiliser les éléments du décor, une goutte de rosée par exemple, pour détruire un barrage lui bloquant l'accès.

Dans Gerridae , il faudra donc ruser, et ce dès le tutoriel passé. Car très vite, des branchages bloquent l'accès au reste de la rivière, et vous êtes seul pour trouver la solution. Dans le décor, un nénuphar tourne grâce aux ondes rayonnantes et coule sur le coup d'une onde directe. En revenant à la surface, il produit une onde. Une onde qui, coup de chance, peut se combiner avec les ondes formées par des gouttes d'eau tombant dans la rivière. Mais cela n'est pas suffisant pour débloquer la route. L'araignée d'eau répète donc l'opération, ajoutant sa propre onde circulaire... et miracle, l'onde géante libère le passage. Cela vous semble compliqué? Ce n'est rien. Les associations empireront avec l'avancée dans les niveaux.

Côté combats en revanche, les développeurs ont joué la carte du fun et les ennemis sont donc tous abordables. On appréciera le clin d'œil des têtards aux Murlocs de World of Warcraft , avant bien sûr, de leur foutre une raclée. Le tout dans un décor automnal et sur un jolie musique, qui font du bien aux yeux et aux oreilles. Pouvant être joué au pad ou au clavier, Gerridae ne promet pas une longue durée de vie, une heure suffit largement, mais c'est une heure bien remplie et que l'on apprécie.

Et si le jeu est court, c'est sans doute aussi parce qu'il a connu des conditions de création particulières. Car créer un jeu vidéo de A à Z en à peine trois mois, c'est un défi qui ne se présente qu'une fois dans une vie. Et s'il semble relever du masochisme, une cinquantaine d'élèves s'y colle pourtant chaque année à l'université Lyon II. Tous appartiennent à la formation « Gamagora » inaugurée en 2007, et divisée en trois sections: «Infographie» , «Level Design» et «Programmation et Développement» . Chacune de ces filières suit sa propre voie durant la seule année de cours, mais avant leur stage, tous les élèves se regroupent pour créer un projet commun.

En 2010, quatre jeux sont nés de cette expérience : « Bugs Save the Queen » , un «tower defense» inversé réalisé en 2D où le joueur crée des fourmis pour détruire des tours et sauver la Reine. « Luna » , un jeu de plateforme réflexion en 2D, où Jules ramasse des morceaux d'échelle pour attraper la lune et l'offrir à sa fiancée. « Games-Inc » , composé de mini-jeux parodiques sur l'univers du jeu vidéo. Et donc, « Gerridae » , dont nous avons suivi la croissance, en nous laissant parfois porter par le courant.

Le jeu, un travail de pros

Car pour que l'insecte puisse librement se balader dans des paysages aux couleurs automnales, il a fallu que ses onze papas ne chôment pas. Quitte à passer de très longues heures à peaufiner les détails. Voire des jours à régler un reflet sur l'eau... ou une dizaine de lignes de code. Des nuances qui échappent au simple joueur mais se révèlent un vrai casse-tête pour les créateurs. Les onze garçons - quatre «game/level designers», quatre infographistes et trois programmeurs - ont ainsi joué la carte du professionnalisme jusqu'au bout, travaillant comme des pros, le budget en moins. Mais des libertés en plus : le zèle d'étudiants encore insoumis aux règles du marché a permis quelques extravagances, perçues comme une chance par les étudiants.

Pour le reste, c'était comme dans la vie active. Gerridae a même eu son «chef de projet» : Richard Stankiewicz, étudiant qui a suggéré ce concept de jeu, sélectionné par le jury. « J'ai eu l'énorme chance de proposer un projet et de diriger sa conception. Dans ce cas, être «game designer» est le meilleur métier au monde. Mais souvent, ils créent l'idée de départ, et ils n'ont plus de retour. C'est vraiment ingrat » . Pourtant, c'est le métier qu'il se destinait à exercer. Mais ces trois mois sur Gerridae ont confirmé ses doutes concernant le «game design». Il préfère désormais se tourner vers le «level design» et se consacrer à la création des niveaux des jeux. « Cela permet de travailler sur un éditeur de niveau et de voir son travail avancer, un peu comme un chef de chantier » .

Ce qui n'est pas le cas de tous. Bruno Julien, «game designer» et «level designer» sur Gerridae , préfère pour l'autre option. « Après avoir créé le jeu, le «game designer» doit tout réadapter aux contraintes marketing et aux machines cibles, avoir assez d'imagination pour faire rentrer un carré dans un rond. C'est un travail d'équilibriste ardu mais aussi un challenge » . En trois mois, tous ont eu un aperçu de leur futur métier, et de ses difficultés. Et côté programmeurs, le réalisme prime, comme quand Xavier Richter explique: « Nous devons faire en sorte qu'il n'y ait pas de bug. Mais les joueurs ne se disent jamais: c'est bien programmé. Par contre, s'il y a une erreur, là tu le sauras » .

Un boulot d'équipe

Mais créer un jeu vidéo n'est pas qu'une affaire de spécialités cloisonnées. Pendant trois mois, les garçons ont dû se serrer les coudes et prendre la peine de comprendre le travail de l'autre. Quitte à parfois filer un coup de main. D'autant que la «team Gerridae» est avant tout un groupe de copains, bien partis pour faire du jeu vidéo un boulot, en plus de la passion qui les anime déjà. S'ils se sont retrouvés, le temps d'un projet de fin d'études, autour d'une gerridé bien nommée Gerri, c'est aussi parce qu'ils s'appréciaient et voulaient travailler ensemble.

Âgés de 21 à 30 ans, ils ont donc passé ces trois derniers mois dans une bonne humeur presque quotidienne. Une ambiance de travail détendue, créée par défaut, selon Bastien Fontaine, «game designer» et «level designer» sur le projet. « On est amis, c'est un peu compliqué de se crier dessus. Mais du coup, on aurait sans doute pu être un peu plus sérieux » . Quitte à être moins drôles. Ce qui aurait pénalisé l'ambiance de travail, et Yann Trieu, graphiste devenu spécialiste de la mise en boite. Coupable d'un grand nombre d'éclats de rires, il contourne les questions: « Mon meilleur souvenir du projet ? Avoir pu critiquer l'équipe de «Bugs Save The Queen» en leur présence » . L'ironie n'empêchant pas le travail bien fait, il ajoute : « Nous étions complémentaires. Le projet a été bien mené » . Un avis partagé par Richard Stankiewicz : « Je n'ai jamais eu de gens à traîner: on se poussait mutuellement. Il y avait toujours quelqu'un pour remotiver les autres » .

À les voir agir, on saisit pourquoi. Tous n'ont qu'un but, réussir leur jeu. « Face aux problèmes, on comprend tous très vite les mêmes choses. On prend chacun la même direction mais en y ajoutant une touche personnelle » , résume Bruno Julien. Une qualité qui n'est pas de trop : en trois mois, comme vous allez le voir, les déconvenues ont été fréquentes.

Lire la suite : « Gerridae » (2/5) : Pas facile de marcher sur l’eau

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