Europe et Amendement 138 : «Le débat n'est pas clos»

par Astrid GIRARDEAU
publié le 5 mai 2009 à 20h31
(mis à jour le 6 mai 2009 à 12h25)

A l'origine, le paquet Télecom est un ensemble de réformes présentées en novembre 2007 par Viviane Reding, la commissaire européenne à la Société de l'information, pour la révision des directives européennes à propos des communications électroniques. Le texte, qui doit succéder à la règlementation de 2002, concerne la mise en place d'un marché intérieur des télécoms et les règles de concurrence. Absolument pas les contenus. Mais, petit à petit, au cours de l'année 2008, s'y sont greffés des articles relatifs au droit d'auteur, et plus particulièrement au projet de loi Création et Internet en préparation en France. «Certains ont voulu en profiter pour valider la riposte graduée et Hadopi» , nous indiquait récemment Catherine Trautmann , rapporteur du projet.

En septembre dernier, le paquet Télécom entrait définitivement en plein débat français avec le vote, par 88% des euros-députés , de l'amendement 138. Un texte qui invalide l'autorité administrative, l'Hadopi, prévue par le projet de loi cher à Nicolas Sarkozy, en stipulant qu' « aucune restriction aux droits et libertés fondamentales des utilisateurs finaux ne doit être prise sans décision préalable de l'autorité judiciaire » Depuis, les pressions du gouvernement français se sont multipliées pour faire supprimer le texte. Jusqu'à menacer de bloquer le vote du Paquet Télécom. Début mars, l'amendement est réintroduit sous le numéro 46, et voté le 20 avril à 40 voix contre 4 en

commission ITRE. Pourtant, Catherine Trautmann recevait un mandat et une date limite, le 29 avril, pour aboutir à un accord avec le Conseil de l'Union européenne. Et, mardi dernier, un texte de compromis était adopté (1). Il remplace «l'autorité judiciaire» par un « tribunal indépendant et impartial» auquel il associe un rappel à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme (CEDH).

«Dans ce mandat qui m'a été confiée, je devais aller vers une décision pour valider tout le paquet Télécom sans retourner à une conciliation sans chance de résultat où l'amendement 46 aurait probablement été rejeté , explique Catherine Trautmann. S'il y avait désaccord, un troisième tour, ça voudrait dire repousser le vote à six mois, et la transposition à deux ans alors que 3,5 millions de salariés attendent notre décision !»

Ce n'est pas de l'avis des Verts qui, s'ils ont négocié à l'amendement de compromis, ne l'ont finalement pas voté. Et ont redéposé le jour même l'amendement 138 dans sa forme originale. Hier soir, dernier rebondissement, on apprenait que l'ordre de vote des deux textes avait été inversé . Mais surtout qu'il existait désormais une «exclusivité mutuelle». C'est-à-dire que si le texte de compromis, en premier dans la liste des votes, était voté, l'amendement 138 ne serait même pas représenté. «Une magouille de Trautmann» , lançait ce matin Daniel Cohn-Bendit , co-président du groupe des Verts et co-auteur de l'amendement 138. Une attaque pas très appréciée du rapporteur qui la juge «absolument contestable et incompréhensible» . Comment expliquer alors ce changement d'ordre ? «Le service de la séance a cru que le nouveau texte reprenait l'amendement 46 avant de s'apercevoir que la nouvelle version va plus loin.» (selon le règlement l'article qui s'écarte le plus du texte initial doit être mis aux voix le premier).

«Ce que je ne veux pas, c'est d'être accusée de ne pas avoir fait ce qu'il fallait pour garantir les droits des internautes dans le paquet Télécom» , déclare Catherine Trautmann. Si elle est sensible au caractère symbolique et politique du texte dans sa forme d'origine, elle estime que la nouvelle version reprend «les questions essentielles posées par le 138» . Mieux, selon elle, le texte de compromis, placé à l'article 1 (portée et objectif), et accompagné d'un considérant, permet une portée plus large que l'actuel amendement 138 car il aborde les droits fondamentaux des utilisateurs -- «une première dans une directive sur une question économique» -- et non seulement la coupure de l'accès Internet, mais aussi le monitoring ou le filtrage. De plus elle estime qu'il est plus applicable que l'amendement original qui, placé lui à l'article 8, est limité aux régulateurs nationaux.

Certains reprochent pourtant une nouvelle formulation trop floue ou ambigüe, qui n'est pas suffisante pour exclure des autorités comme Hadopi. Si Catherine Trautmann admet qu'il est moins limpide : «Si c'était clair comme de l'eau de roche, on n'aurait pas pu faire passer le compromis» , elle estime qu'il est un vrai obstacle à Hadopi. «Dans Hadopi, on a un processus massif et automatique d'accusation et de sanction , rappelle t-elle. Si le gouvernement français -- qui dira qu'Hadopi est couverte au titre d'une jurisprudence du Conseil d'Etat -- veut expliquer et démontrer qu'Hadopi est un tribunal indépendant et impartial, il lui reviendra de montrer comme cette autorité respecte les droits de la défense, la procédure contradictoire, etc…» Dans ce cas pourquoi ne pas avoir gardé le terme d' «autorité judiciaire» ? «Cela aurait obligé à avoir un débat sur l'ordre juridique interne dans chaque pays. Les Etats membres l'ont donc refusé» .

Si demain, lors du vote en séance plénière, le texte de compromis devait être rejeté (ce qui est peu probable), elle nous a indiqué qu'elle soutiendrait l'amendement original. Ensuite, pour elle, «le débat n'est pas clos» , la discussion et la mobilisation sur ce sujet ayant démontré qu'il existe «un véritable besoin de débat démocratique franc et direct» au niveau de l'Europe. Elle a d'ailleurs demandé un débat regroupant tous les acteurs ( «dont les internautes et par exemple la Quadrature du Net» ) à la Commission, qui s'est engagée à le mettre en œuvre à l'ouverture de la prochaine législature.

Comme Daniel Cohn-Bendit nous l'a indiqué , le groupe des Verts a lui décidé de voter contre le texte de compromis. Par ailleurs, demain, lors du vote en séance plénière, Rebecca Harms, vice-présidente du Groupe, demandera un vote sur cet amendement. «En tout état de cause je ne voterai pas l'amendement de compromis» , nous a indiqué pour sa part, Guy Bono, co-auteur de l'amendement 138. Suite aux nombreux mails de soutien reçus ces derniers jours, il estime par ailleurs que «si l'initiative populaire était une procédure en vigueur au niveau européen, on revoterait l'amendement 138 dans sa version initiale» .

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