Diaspora, les premiers pas d'un «Facebook libre»

par Andréa Fradin
publié le 16 septembre 2010 à 12h00
(mis à jour le 16 septembre 2010 à 15h20)

Ils ont troqué le tee-shirt «gris et fade» de Zucky pour un look branchouille digne d'un groupe indé de Brooklyn. La vingtaine pour certains pas encore dépassée, Maxwell Salzberg, Daniel Grippi, Raphael Sofaer et Ilya Zhitomirskiy sont quatre étudiants new-yorkais qui osent venir défier le géant Facebook sur ses terres. Présenté par la presse sous l'expression valorisante de «Facebook alternatif» , leur projet intitulé «Diaspora*» a délivré cette nuit son code source aux développeurs. La version prête à l'emploi se fait pour sa part attendre, et ne devrait être disponible qu'en octobre.

«Le réseau social open source respectueux de la vie privée, contrôlé par les utilisateurs et entièrement à construire»

Diaspora se présente comme un réseau social entièrement décentralisé, qui laisse à ses utilisateurs le «contrôle» de leurs données. «Dans le réel, nos vies sociales n'ont pas de point de contrôle central , explique dans un billet introductif le blog du projet, nos vies virtuelles n'en ont pas plus besoin.»

Concrètement, cette décentralisation se traduit par l'utilisation du protocole peer-to-peer: chaque membre de Diaspora pourra entreposer les informations qu'il souhaite partager sur un serveur personnel, qu'il le possède, l'héberge, ou le loue. Pour «ceux moins à l'aise avec la technique» , le futur site indique néanmoins vouloir mettre à disposition «un service d'hébergement en un clic comme sur Wordpress.com, afin que la création de seed [ndlr: à l'origine des contenus dans des échanges P2P] soit aussi simple que possible» .

Au-delà de la protection de leurs données, sur lesquelles ils gardent la main mise, les futurs utilisateurs de Diaspora sont également appelés à contribution. Le réseau social est «entièrement à construire» ( «do-it-all project» ), son code est en open source et a été mis à disposition des développeurs dans la nuit . On reste dans l'idée d'un contrôle total de l'internaute: ses informations ne sont pas perdues dans le cloud et les usages qu'il souhaite en faire orientent et conforment le réseau social. Dans ce sens, Diaspora mise sur la greffe de nombreuses extensions sur son squelette de base. Intégration d'applications tierces, qui permettront par exemple de relayer l'activité de l'utilisateur sur Facebook ou Twitter, mais aussi développement de la VoIP ou d'une messagerie instantanée, sont quelques unes des fonctionnalités d'ores et déjà annoncées.

Au niveau de l'interface, que seules quelques captures d'écrans nous ont permis d'apercevoir, les habitués de Facebook ne devraient pas être trop dépaysés: photo de profil en haut à gauche, nom de l'utilisateur en en-tête, et fil d'information en colonne principale; on reste dans les standards fixés par Marc Zuckerberg et son équipe. Même chose aux niveaux des usages: actualisation de «statuts» , partage d'albums photos, gestion des «requests» ; c'est «l'expérience sociale» classique.

«Génial pour quelques milliers de développeurs et de gros nerds »

«Un site qui vous appartient complètement» , «vous pourrez en faire ce que vous voulez» , «prenez le contrôle de vos données» : pas de traces -- visibles -- de Facebook dans les formules scandées par les jeunes créateurs de Diaspora, et pourtant, il est évident que l'ombre de cet ogre du réseau plane sur le projet. Et s'il n'est pas désigné comme tel, Facebook semble tenir le rôle du jumeau maléfique de Diaspora: sa gestion controversée de la confidentialité de ses membres, qui se traduit par des profils toujours plus ouverts par défaut, semble en effet être le contre-modèle du système Diaspora.

Comme le rapporte le New York Times , auteur d'un portrait des «quatre étudiants geeks» en mai dernier, l'idée du projet a d'ailleurs germé suite à une conférence d'un professeur de droit de l'université de Columbia sur le sort des données privées sur Internet. Intitulée «Liberté dans le Cloud», la présentation pointait explicitement Marc Zuckerberg, l'accusant d'avoir «fait plus de mal à la race humaine que n'importe quel autre personne de son âge» , en instaurant un réseau social centralisé, un «outil d'espionnage gratuit» .

Si elle n'est pas entièrement assumée, la filiation est donc claire -- l'utilisation du seul terme «Diaspora» la confirme. Reste la question ultime: Diaspora a-t-il réellement les moyens de tacler Facebook ? Sur ce point, ils sont peu nombreux à miser sur la victoire de David sur Goliath. Bien au contraire: quand la presse spécialisée s'accorde à louer l'initiative, elle doute néanmoins de sa capacité à devenir calife à la place du calife. Au-delà du très jeune âge de ses fondateurs, et de leur allure geeko-juvénile un brin caricaturale (voir les vidéos ), TechCrunch souligne que «si l'idée du réseau distribué et open source semble géniale, elle semble géniale pour quelques milliers de développeurs et de gros nerds» . Et d'enfoncer le clou en ajoutant que si Diaspora veut devenir «vraiment attractif» -- entendez par là pour des internautes lambda, ses créateurs doivent trouver autre chose: une interface solide, ou une fonctionnalité nouvelle. Sans raison tangible de quitter le réseau aux 500 millions de membres, difficile en effet de dépasser la frange des passionnés. Même son de cloche au Telegraph , qui «ne pense pas» que Diaspora arrivera à dépasser Facebook. «Il y a déjà trop de réseaux sociaux et de services qui mobilisent notre attention. Et la plupart des gens n'aura simplement rien à faire de cette nouvelle architecture sophistiquée» argumente l'auteur de l'article, Milo Yiannopoulos.

De son côté, un autre jeune entrepreneur semble partager ces conclusions. Pas vraiment inquiété par l'initiative, ce cher Zucky s'est même montré un brin arrogant en mai dernier, en annonçant avoir contribué à l'appel aux dons de Diaspora sur le site Kickstarter, qui a tout de même engrangé 200000 dollars -- soit vingt fois plus que la somme visée. Pas très fairplay de la part du géniteur de Facebook, qui se verrait bien embêté si le projet qu'il a modestement financé venait à dépasser son grand œuvre.

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