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En obligeant la modération a priori des commentaires, le gouvernement compromettrait le tout nouveau statut d'éditeur de presse en ligne.
par Astrid GIRARDEAU
publié le 21 juin 2009 à 17h01
(mis à jour le 21 juin 2009 à 23h32)

Rue89, Slate, Mediapart et les autres vont-ils être obligés de modérer a priori, c'est-à-dire avant publication, tous les commentaires postés par les lecteurs sur leur site ? La question est actuellement en discussion. Et, derrière, c'est l'avenir du tout nouveau statut d'éditeur de presse en ligne qui est en jeu. «C'est simple, s'il y a obligation de modération a priori, on ne demandera pas le statut» , nous indique ainsi Pierre Haski, co-fondateur du site participatif Rue89 .

En janvier dernier, à l'occasion de ses vœux à la presse, Nicolas Sarkozy disait vouloir créer «un statut d'éditeur de presse en ligne» afin d'aider financièrement au développement des journaux uniquement sur Internet (dits Pure-players). Ce statut a été mis en place par l'article 27 de la loi Création et Internet, promulguée le 13 juin dernier . Sont ainsi considérés comme éditeurs de presse en ligne les services qui publient, à titre professionnel, du contenu original, d'intérêt général, renouvelé régulièrement, et faisant l'objet d'un traitement journalistique.

En complément de l'article 93-3 sur la communication audiovisuelle il est également indiqué que «lorsque l'infraction résulte du contenu d'un message adressé par un internaute à un service de communication au public en ligne et mis par ce service à la disposition du public dans un espace de contributions personnelles identifié comme tel, le directeur ou le codirecteur de publication ne peut pas voir sa responsabilité pénale engagée comme auteur principal s'il est établi qu'il n'avait pas effectivement connaissance du message avant sa mise en ligne ou si, dès le moment où il en a eu connaissance, il a agi promptement pour retirer ce message.» En clair, l'éditeur peut choisir s'il veut modérer a priori ou a posteriori les réactions de ses lecteurs.

Pourtant, vendredi dernier, le site Electron Libre publiait un décret d'application du ministère de la Culture (pdf) dans lequel on peut lire : «l'éditeur du service dispose de la maîtrise éditoriale du contenu et notamment des messages postés diffusés sur les espaces de contribution personnelle ; en particulier, il met en œuvre les dispositifs appropriés pour éviter la mise en ligne de contenus illicites.» A la poubelle donc la possibilité de retirer rapidement les contenus après publication. Plus tard dans la journée, le blogueur Emmanuel Parody, spécialisé dans l'économie des médias, indiquait sur son twitter que finalement un nouveau décret «va modifier la disposition pour autoriser les deux types de modérations» .

En contact sur ce dossier avec Matignon, Laurent Mauriac, autre co-fondateur de Rue89, nous explique leur avoir demandé si leur dispositif actuel de contrôle était suffisant : obligation de s'inscrire pour commenter, charte des commentaires, modération a posteriori par l'auteur de l'article, fonction d'alerte au pied de chaque commentaire, intervention immédiate dès alerte, etc. Il dit ne pas avoir vu, pour le moment, d'autre décret que celui publié par EL, mais que, selon Matignon, l'idée était bien d'englober la modération a posteriori. «La rédaction du décret n'est pas encore définitive» lui indiquait-on la semaine dernière. De son côté, Pierre Haski nous parle d'un nouveau texte où serait ajouté «... éviter la mise en ligne de contenus illicites ou leur retrait le plus rapidement possible » .

«Une modération a posteriori est préférable pour la spontanéité et la richesse des débats» , selon Laurent Mauriac. La solution des journaux en ligne type Libération est de faire appel à une société extérieure. Mais cela a un coût, peu envisageable pour la plupart des sites justement visés par le statut d'éditeur de presse en ligne. Et implique une perte de contrôle sur les contenus publiés (ou supprimés). Or pour ces sites, le commentaire, et le lecteur, sont pleinement des acteurs du site. Pour Pierre Haski, «cela fait partie intégrante du projet participatif» .

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