Banja Blues

Banja, le rasta funky, ex superstar du web débarque à la télévision, dans une série animée dont il est le héros.
par Marie Lechner
publié le 7 septembre 2007 à 10h20
(mis à jour le 7 septembre 2007 à 10h40)

En pleine frénésie internet, avant que n’explose la première bulle, la Toile abritait un îlot de quiétude où il faisait bon vivre, un paradis en ligne cool et coloré, rythmé par une impeccable bande son, où glandait un petit rasta nonchalant aux gros dreadlocks. Banja, star interplanétaire de reggae retirée du show biz est né dans la tête de Sébastien Kochman et créé en 1998 par la défunte TeamChman, talentueuse et généreuse bande de graphistes, webdesigners et programmeurs lillois.

Plus qu’un simple héros de jeu vidéo (noir de surcroît), Banja fut la première superstar du web. Emblème de la «french touch» en matière de création multimédia, étendard de la vitalité lilloise dans le secteur du divertissement en ligne alors en plein boom, les aventures du rasta funky ont rassemblés des millions de joueurs dans le monde, ont été traduites en six langues, remporté une tripotée de prix prestigieux (dont un prix Ars Electronica en 2001, équivalent des Oscars du numérique et une consécration par la télévision japonaise NHK comme meilleur design étranger).

Banja.com , mi feuilleton aux personnages récurrents, mi univers en expansion, innovait par tous les bouts, par sa philosophie pacifiste, écolo et basée sur la collaboration qui s'opposait aux jeux de baston ou de conquête quasi exclusifs alors. C'était le premier jeu communautaire en flash 3D, évoluant en temps réel, avec de nouveaux épisodes postés en ligne tous les mois. Pour les jeunes qui n'ont pas connu le 56k, Banja pourrait s'apparenter à un ancêtre d' Animal Crossing (le paisible jeu de Nintendo) sous psychotrope. La popularité de Banja est telle que Laurent Garnier viendra y mixer avec son avatar lors d'une beach party en ligne. Dès 2001, il est question d'une série télévisée avec pour héros le rasta rondouillard aux gros cheveux, mais l'ambitieux projet d'animation de 26 fois 26 minutes prend énormément de retard, les scénarii sont réécris sans cesse. Il finit par être le fossoyeur de la brillante TeamChman qui explose en plein vol un jour de juin 2004. C'est la liquidation et l'on n'entend plus parler du rasta « funkadelicious » jusqu'à ce communiqué fracassant de cette rentrée annonçant que « Banja quitte le net et arrive sur Canal+ » . Premier choc, notre placide héros en rouge jaune et vert arbore une horrible grimace et brandit un gros doigt d'honneur sur la couverture du dossier de presse.

Ciel, mais qu'est-il advenu de Banja ? « Monstre hybride entre Lost, la Star Academy et Prison Break –l'humour en plus » , avertit l'inquiétant communiqué. De fait, dès qu'on visionne les premières minutes, on comprend que les Patchoulis (les « méchants » du jeu) et leurs patchdollars ont eu la peau de ce paradis basé sur le troc de pots de miel. Si le graphisme est fidèle à l'univers de Banja , l'esprit originel s'est perdu en route, la collaboration fait place à une concurrence impitoyable.

Dans cette sitcom musicale produite par Maybe Movies, la boîte parisienne qui a racheté les droits et repris le projet, le méchant ne s'appelle pas Patchouli mais Dominant, usine à tubes et à dollars qui fait son beurre sur le dos des musiciens qu'elle a séquestrés sur Hitland (et non plus Itland). Il y a TNT le rappeur white trash au testicule solitaire, Stinky le guitar hero cramé, Carmella, sirupeuse choriste de R&B;, Bud, le redneck joueur de banjo, Gérard Pélatart, crooner ringard et permanenté, Jammie One, rousse new age aux aisselles touffues, Ladie's Gaygue le travelo disco. Il y a aussi Plastic, une asiatique affriolante, calculatrice et malade du cul qui veut absolument se faire engrosser par Banja et Germaine Six, l'affreux à l'afro, arriviste, pervers et fétichiste du pied. Dans le jeu en ligne, Germaine s'appelait Sydney, c'était un DJ cool.

Des personnages du jeu, il ne reste pas grand chose. La souriante Zélia, copine de Banja, fan de techno, devient ici une goth dépressive, qui tente de se suicider en s'étouffant avec des pépins de pomme. Les Fumfums, bienveillantes limaces fumeuses de narguilé qui protégeaient l'île ont fait place à un gorille SM moustachu qui terrorise les musiciens. Tous n'ont d'ailleurs qu'une seule obsession, sortir d'ici au plus vite et à n'importe quel prix, de préférence en écrasant son voisin au passage. Seule solution pour quitter Hitland, faire un hit. En plus de parler vulgairement (sans doute pour coller à l'esthétique téléréalité ou rivaliser avec l'impertinence d'un South Park ), les musiciens d'Itland ont la sale manie de se promener à poil, notamment quand ils se rebellent contre Dominant, manifestent « contre la malbouffe » et pour « la bonne chnouffe » .Voir la quéquette de Banja peut-être une expérience tout à fait traumatisante pour les aficionados du jeu... Le Banja 2.0 serait-il devenu cynique en passant sur le petit écran? L'optimisme peace and love des premiers temps du net ont fait place au sarcasme, plus adapté il est vrai à l'univers télévisuel que les bons sentiments. «Banja a été perverti par le world label Dominant, la série animée est très sex, drug, and rock'n'roll, et le côté alter est un peu passé à la trappe, reconnaît volontiers Henri Magalon, fondateur de Maybe Movies, on n'a pas essayé de proposer une continuation du jeu en ligne mais quelque chose de plus provoc, une vraie série française pour ados, adultes. Mais, promet-il, l'esprit rebelle de Banja vaincra» .

Série d’animation française 26X26 minutes, tous les samedis à 11h30 à partir du 8 septembre 2007 rediffusion sur Canal + décalé du lundi au vendredi à 20h en décembre 2007.

_ D.R.

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