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Libération
Critique

«Avatar» que jamais

Buzz . Douze ans après «Titanic», James Cameron parle pour «Libération», en exclusivité, de son nouveau film monstre.
par Didier Péron et Olivier Seguret
publié le 9 septembre 2009 à 0h00

Lundi matin, dans un cinéma des Champs-Elysées, la Fox conviait la presse à découvrir vingt-cinq minutes du nouveau film de James Cameron, Avatar, qui sortira en France le 16 décembre, deux jours avant la sortie sur le territoire américain. Le producteur Jon Landau jouait avec brio le monsieur Loyal lançant les extraits prélevés dans la première partie du film et dévoilant une bonne partie de l'intrigue (les geek, furieux, se bouchaient les oreilles). Cette projection prend place dans une stratégie inédite de dévoilement d'un film suscitant une extraordinaire attente et ce au-delà de la simple diffusion de différentes bandes annonce sur le Net comme c'est désormais l'usage. Déjà, le 21 août, quinze minutes du film avait été montrée au public au cours de séances gratuites qui ont attiré, en France, 12 000 spectateurs. Dans le Los Angeles Times, Cameron expliquait que, partant d'un scénario original, il ne pouvait bénéficier du phénomène de reconnaissance dont profitent les franchises type Marvel et qu'il lui fallait absolument créer sa propre marque «Avatar» : «Le mot veut dire quelque chose pour le groupe de fans qui attendent le film, mais pour 99 % du public c'est un mot absurde et nous devons leur en apprendre la signification.» Imprimer la marque et tabler une fois encore sur un super-banco au box-office en rassemblant le public le plus large possible, c'est évidemment pour Cameron une manière de défier son propre exploit Titanic (2 milliards de dollars de recettes) en sidérant une nouvelle fois la planète entière avec une épopée aux effets spéciaux dantesques (et un budget en rapport : 174 millions d'euros).

simulacre.Une fois chaussées les lunettes 3D, on est à nouveau saisi par la capacité hollywoodienne à inventer des simulacres toujours plus sidérants. La présence quasi palpable des matières (chair, végétaux, vêtements…) créées par ordinateur pour donner vie à la planète Pandora, décor principal de l'action, donnent à la fable une densité hyperréaliste à la fois jouissive et effrayante. Comment ne pas être pris de vertige en voyant évoluer ces créatures si concrètes, si apparemment douées d'âme et qui pourtant ne sont ni hommes ni artefact (mais bien «hybrides», «avatars» justement) ? On est frappé moins par l'originalité de l'imaginaire recyclant des motifs éprouvés (bastons avec des monstres préhistoriques, déploiements militaires, love-story, etc.) que par la synthèse éblouissante que le film accomplit entre le virtuel et le vivant.

Avatar fonctionne comme un Rubicon technique, économique et esthétique que César Cameron se risque à franchir héroïquement. La capacité de l'industrie à le suivre, c'est-à-dire à s'aligner sur ce type de défi, pose néanmoins un certain nombre de problèmes. Ce n'est bien sûr pas la première fois, ni la dernière, que Hollywood se retrouve ainsi à la croisée des chemins. Mais cette fois, à l'image des changements culturels planétaires qu'accélère le développement de la culture numérique, c'est l'ensemble du modèle hollywoodien qui est remis en cause : la crise de Hollywood est globale parce que Hollywood est globalisé. Le plus gros souci présent pour l'industrie californienne de l'entertainment, c'est le dumping fiscal auquel procèdent désormais la majorité des Etats américains pour attirer les tournages. La crise budgétaire et sociale que connaît la Californie accentuant l'exode de nombreuses productions ailleurs aux Etats-Unis ou carrément overseas, en Europe notamment. La mise à jour des technologies constitue l'autre grand obstacle que l'industrie du cinéma américain, puis mondial, va devoir franchir. Le grand basculement vers le numérique (l'équipement des salles est en passe d'être accompli sur le territoire américain), n'était qu'un préalable à l'invention de nouvelles façons de concevoir le cinéma et de le consommer. Les techniques 3D inédites dont Avatar fait la démonstration sont très probablement la lanterne d'avant-garde d'un mouvement de fond, le prototype d'une forme mutante et immersive du cinéma, dont le Speed Racer des frères Wachowski illustre une autre tendance. Que ce soit le réalisateur de Titanic qui s'en fasse le prophète donne quelque consistance à ces imprécations. Mais on peut aussi se demander si la méthode Cameron ne commence pas à éprouver ses limites. C'est comme s'il voulait, avec Avatar, jouer le rôle du démiurge qui fait transmuter toute une industrie avec un seul film.

course. Mais, alors que l'on annonce pour l'an prochain la mise sur le marché des premiers téléviseurs 3D (les PC adaptés au relief existent déjà), l'argument de Cameron - qui ne voit de salut pour le cinéma en salles que dans la fabrication de spectacles high-tech sans équivalent domestique - perd déjà un peu de sa substance. Enfin, on peut se demander si la course aux armements numériques dont Avatar est le nouvel exemple n'est pas désormais un modèle qui heurte notre réalité politique en crise. Il y a une forme de gâchis non-durable, un affolement et une attente de plus en plus difficile à satisfaire qui flatte et épuise le business du cinéma américain, toujours en quête de nouveaux prodiges et de nouvelles marges. A cette aune, il faudra bel et bien que Cameron tienne ses promesses et qu'Avatar soit de la bombe atomique.

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