A l'e-G8, le show du Grand Civilisateur Sarko

par Alexandre Hervaud
publié le 24 mai 2011 à 12h40
(mis à jour le 24 mai 2011 à 14h15)

Oh, un portique de sécurité comme à Orly, suivi d'un café gratuit. Oh tiens, Loic LeMeur, et pas loin derrière Pascal Nègre en discussion avec un jeune blogueur. Et là, mais non on doit rêver, c'est bien Laura du Web, de Télématin ! Pas de doute, nous sommes à l'e-G8 , bien installé dans le Jardin des Tuileries, là même où eut lieu en 1783 la première ascension de personnes dans un ballon à gaz à en croire Wikipedia. Ce grand raout organisé par Publicis en apéritif 2.0. du G8 de Deauville a débuté ce matin.

Pas peu fier d'en être l'organisateur, Maurice Levy prévient en introduction que «tous les grands acteurs du secteur à quelques exceptions près ont chamboulé leur agenda pour répondre à l'invitation de Nicolas Sarkozy» . Présent sur scène en attendant de faire son discours, le Président écoute, fait des petits coucous à l'assistance, surtout au premier rang (Frédéric Lefebvre, Christine Lagarde, Eric Besson y sont attentifs). Lorsqu'il prend la parole, Nicolas Sarkozy ne tarit pas d'éloge sur le monde de l'Internet qu'il connaissait «si mal» (de son propre aveu, les chefs d'état ne s'intéressent vraiment à ce truc là qu'en période de campagne électorale...). Pour bien comprendre qu'on n'est pas venu là pour beurrer des tartines, l'importance de l'évènement est vite signalée par une phrase bien tournée : «l'Histoire se souvient toujours de ces lieux vers lesquels à un moment donné toutes les forces créatives d'une époque semblent vouloir converger» . Selon toutes vraisemblance, il était question de l'espace Nespresso.

Emphatique au possible, encore plus que lors de son discours de lancement du CNN , le Président a comparé les acteurs du Net à des Colomb, Galilée, Newton et Edison, déclarant : «votre action se lit à l'échelle de l'Histoire et s'inscrit dans une dynamique de civilisation» . Ah, nous y voilà ! Parlant de responsabilité forcément partagée quand on touche au Net ( «l'amalgame des seules aspirations individuelles ne suffit pas à faire un contrat social» ), le Grand Civilisateur s'est livré à une défense passionnée des créateurs et de la propriété intellectuelle, après avoir mis en garde les entrepreneurs que bon, ça serait quand même pas très cool que leurs outils soient utilisés par les cybercriminels et les pédophiles -- on attend le même genre de discours adressé aux fournisseurs d'électricité, par exemple, qui sont après tout eux aussi responsables indirects de bien des fléaux.

Pour en revenir à la défense enflammée des créateurs, Sarkozy a usé de la figure rhétorique bien connue dite du «respect/clash» pour titiller la fibre des entrepreneurs : «vous avez permis à chacun, par la seule magie du Web, d'accéder d'un simple clic à toutes les richesses culturelles du monde. Il serait vraiment paradoxal que le Web contribue, à terme, à les assécher» . Et de citer Beaumarchais dans une envolée sur le droit d'auteur qui a fait couler quelques larmes d'émotion dans la salle (on plaisante, hein, mais sans la liberté de troller, il n'y a pas d'éloge flatteur). Parce que bon, c'est bien gentil le Net, mais «vous avez besoin d'entendre nos limites, nos lignes rouges au nom de l'intérêt général» , a précisé Nicolas Sarkozy qui le sent bien, cet évènement. D'ailleurs, dans ce monde sans frontière grâce au Net, l'hypothèse d'une version G20 voire ONU ne déplairait pas au Président, «sinon ça n'a pas de sens» .

Ce qui n'en avait pas non plus, c'était la réponse présidentielle à une question posée par Reporters sans frontières qui soulignait la timidité de l'Elysée face à la défense des cyberdissidents, référence à peine masquée aux révélations de Marianne sur la bisbille Kouchner/Sarko à ce propos. Sans que l'on comprenne trop pourquoi, la réponse s'est transformée en justification des interventions militaires en Côte d'Ivoire et Libye, même si le musellement du Net est devenu, pour Nicolas Sarkozy, «une étape sur l'échelle de la honte des dictatures» .

Impossible de ne pas évoquer l'intervention du spécialiste et auteur Jeff Jarvis qui a, l'espace d'une question, repris l'essentiel de son dernier billet , en demandant au candidat, pardon Président Sarkozy, de faire le serment d'Hippocrate version Web en promettant de «ne pas faire de mal à Internet» . La phrase a l'air un peu stupide comme ça, mais fait parfaitement sens à la lecture de son argumentaire. Après une série de passe-passe verbal sur l'air «dire qu'il y a des valeurs universelles comme la protection des enfants, c'est vous nuire ?» , ce raisonnement par l'absurde s'est conclu par une boutade : «ce serment de ne pas vous nuire, je peux le faire sans problème. Je peux aussi vous dire que vous êtes tous sympathiques, que je préfère le soleil à la pluie, les entreprises qui rapportent de l'argent à celles qui en perdent... Demandez moi des engagements plus fort !» . Réaction sur Twitter de Jeff Jarvis : «Sarkozy a moqué mon appel à un serment pour ne pas faire de mal... Il dit que ce qu'il fait pour la sécurité, le copyright, etc. ne peut pas faire de mal. Et pourtant, si» .

Cet échange rempli d'une certaine suffisance résume à lui seul l'intervention de Nicolas Sarkozy et ce vers quoi se dirige ce forum : une relative ignorance des enjeux exprimés par les consommateurs, spécialistes et défenseurs du Net au profit d'une massive séduction des entrepreneurs, opérateurs et grosses entreprises du secteur. Le rapprochement entre les deux n'est sans doute pas aujourd'hui, tout historique que ce e-G8 se veut.

Lire les réactions à cet article.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus